mercredi 22 février 2017

Asli Erdogan-Lania : le texte que je n'ai pas lu (extraits) au Bar BaBaZuLa à Rennes




Photo de Neenah


Une soirée découverte à laquelle ont répondu une vingtaine de personnes, que l'inconnue que je suis remercie et d'autant plus pour la générosité témoignée dans le chapeau rouge.

Une soirée durant laquelle j'ai présenté
  • l'écrivaine turque Asli Erdogan -qui n'est pas la fille de qui vous savez, ni la nièce, ni ni ni.... rien à voir- ;
  • l'écriture d'Asli Erdogan, que je trouve si musicale que j'en écrirais bien une partition, notamment pour l'ouvrage "Le Bâtiment de pierre" un livre si étrange, que je ne suis pas encore sûre d'avoir tout compris ;
  • Notamment pour celui intitulé "la Ville dont la Cape est rouge", un livre lui aussi étrange et doublement étrange, dans lequel on finit par plonger comme dans un vrai thriller... d'amour ;
  • Notamment pour ses chroniques, "Le silence même n'est plus à toi" dont 3 sont responsables de son emprisonnement d'août à décembre 2016 avec d'autres à Istanbul -elle aime à rappeler qu'elle n'est pas la seule à avoir été emprisonnée- Je n'ai pas cherché à connaître lesquelles. Je m'en suis doutée. J'avais choisi d'en lire surtout une. Et  ce texte que je n'ai pas lu hier 21 février 17 au BaBaZuLa je vais vous en donner quelques extraits à lire ici -en ai-je le droit ?- Je le prends en vous donnant ce lien sur lequel cliquer si vous souhaitiez aidez le collectif qui soutiendra Asli et d'autres écrivains, journalistes, sociologues... ayant rendez-vous au tribunal dès le 14 mars à venir et celui-ci  parce que je suis tombée sur un reportage de guerre, actuelle, et que j'ai bien cru, en regardant le déroulé du reportage, entendre et comprendre le texte.


GUERRE ET GUERRE - page 57


C'est l'histoire d'un voyage qui commence à cent kilomètres d'Auschwitz et s'achève cent kilomètres avant Cisre.
Ou plutôt la tentative de raconter l'histoire d'un voyage qui restera inachevé et dont il est impossible de dire ni où ni quand il a commencé, ni même comment il s'est fini. Une tentative qui se perdra dans le cours des nuits et de l'infini, et qui encore une fois, une éternelle fois de plus, exigera que j'y jette mes dernières forces... Et c'est dès le premier mot sans doute, ce premier mot qui vole en éclats contre l'inracontable - guerre, Auschwitz ou Cizre- que pointe la défaite.
(....) La route de D'Auschwitz, d'Istanbul, d'Urfa -la conférence pour la  paix de Birecik- de Diyarbakir de Suriçi, de Silvan, de Cizre... La route de Cizre barrée aux environs de Midyat par les canons à eau Toma, les chars, les "hérissons", les commandos des forces spéciales. La barricade hérissée de canons verrouillés sur leurs cibles, de canons chargés de vraies balles, comme dressée entre le réel et l'irréel. Une route qu'on dirait sans retour, qui méandre, sous un soleil impitoyable, les collines pelées, les champs... La terre de Mésopotamie qui depuis douze siècles, sans dire un mot écoute et colporte l'histoire tragique de l'homme... Terre où le commencement a rendez-vous avec la fin (......) terre aux entrailles couvrant ses mystères et ses germes futurs...

Les haltes et les étapes intérieures d'un voyageur qui s'en va longeant les gouffres et les vallées, égarant parmi les flammes non pas son chemin , mais tout le fil de son voyage, et qui, parvenu si loin, si loin que plus aucun retour n'est permis, comprend que la voix qu'il croyait être "la sienne" l'a abandonné depuis longtemps : une photographie montrée par Edip de Varto, à Cracovie, à cent kilomètres d'Auschwitz. Une jeune femme arrêtée alors qu'elle était blessée, puis atrocement torturée pendant cinq jours et cinq nuits, gît à plat ventre, complètement nue, dans une rue de Varto. Les jambes dans un état effrayant... A Silvan, face aux ruines d'une maison, sans même poser son filet de courses, une femme se met à hurler : "Assez ! Assez de toute cette haine !" (.........)  Dès la première nuit à Diyarbakir,  l'impossible sommeil haché par le vacarme des chasseurs, des hélicoptères et des bombes, les opérations reprennent à l'intérieur des murailles. A Silvan, les rues, les commerces, les immeubles rasés à l'arme lourde, déchiquetés, réduit à l'état de ruines. Le jardin de l'hôpital de campagne est carbonisé, ses murs troués d'impacts de balles jusqu'au troisième étage (un infirmier agitait un drapeau blanc, ils l'ont descendu lui aussi) Les snipers, les blessés au pied des immeubles, sur les balcons, les toits, les blessés qu'on  interdit de transporter à l'hôpital... Diyrbakir centre, 
des policiers entreprennent de molester ceux qu'ils ont arrêtés pendant le meeting pour la paix... La deuxième nuit commence dans les gaz lacrymogènes. La Turquie joue une "nuit de cristal" à  sa mesure, les foules prêtes au lynchage envahissent en masse les rues de la ville. En une minute le siège est fait devant un nouveau bâtiment du  HDP (ndl : parti démocratique du peuple kurde)
des librairies aux kebabs, les "commerces turcs" sont mis à sac, un jeune qui parlait turc est dépecé à coups de rasoir, on exige d'immoler une fille de cinq ans, le fracas des opérations lourdes..... la ville de Silvan...... la proie des flammes.......  les "douchkas" (ndl : mitrailleuse automatique lourde Dshk  de fabrication russe, dont le nom veut dire "chérie") des maisons effondrées..... des mortiers ........ Bünyamin un gamin de 14 ans placé en garde à vue.... bébé mort dans un bac à glaçons.... une mère qui meurt..... caillassent les bus à Diyarbakir, stoppés net avant que ne commence le voyage.
A Auschwitz, des mètres de cheveux de femmes, l'oreille mutilée de Bûnyamin retrouvée dans une poubelle, les cercles de l'enfer, qui vont rétrécissant, plus profonds, jamais rassasiés......
C'est l'histoire d'un voyage qui commence à cent kilomètres d'Auschwitz et s'achève devant les barricades  de la police et de l'armée, cent kilomètres avant Cizre.
Où plutôt, la tentative de raconter l'histoire.........

Mais l'homme n'a de cesse de raconter, il raconte, transpose,  donne de l'écho répète...  Trace des cercles dans le silence infini des mots. Être racontant : homme. Être accommodant......... voici qu'est arrivé le second mot . la répétition du premier : guerre.........
La route d'Auschwitz, d'Istanbul, d'Urfa -la conférence pour la paix de Byrecik-........ la barricade qui séparent ceux qui s'enfuient de ceux qu'on oublie derrière soi, ceux qui meurent de ceux qui survivent. L'homme de l'homme..............
Chaque mémoire regorge désormais de cadavres refroidis, et le nôtre même...
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En ignorant les balles...
En direction de Cizre, à cent kilomètres.
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Maudissant ma taille et ma santé... Moment difficile, je ne peux retenir mes larmes, tourne le dos aux policiers. ............
"La marche des Kurdes sera longue..."


Précision
... (3 points de suspension appartiennent à Asli Erdogan qui s'en explique dans un texte)
................. "Outrance de points de suspension qui m'appartient : elle signifie seulement  que j'ai omis du texte)
de la page  57 à 70... à mon avis ce texte, puissant serait à mettre en musique : je maudis mon incapacité à écrire  la musique)
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