samedi 22 avril 2017

Conte persan, du Portefaix devenu Devin

CONTE PERSAN dit "LE DEVIN"






Portefaix : Celui dont le métier consiste à porter des fardeaux. 
Synon. mod. porteur.Portefaix arabe, de Colombo; société des portefaix de Marseille; portefaix chargé de paquets. L'éternel portefaix, courbé, traînant et tirant, tête basse, sans regarder le ciel, sans penser, sans s'élever jamais à l'invention

C’était il y a longtemps, bien longtemps, bien des siècles avant notre siècle.


1ère partie 

Bain au hamam de la femme du Portefaix : l’humiliation

C'était Un jour, en Perse. Dans la ville d'Ispahan.  Il faisait chaud, très chaud, si chaud que Amina, la très belle femme d’un portefaix décida d'aller au hammam. 
Dans le beau vestiaire de l'imposant bâtiment aux murs en arcades soulignées de mosaïques blanches et bleues la jeune femme ôte ses vêtements. Avec précaution, elle les emmaillote dans son beau châle de cashmere. Puis elle dépose le précieux ballot sur un tapis. 

De sa jolie main droite, elle soulève une lourde tenture. Trois pas lui suffisent pour se couler dans l’eau du bain, parfumée, quel bonheur,  à l’essence de rose. 

Allongée sur le dos la baigneuse goûte à son bonheur lorsque soudain une vague la submerge, la déstabilise. Elle se redresse, avec maladresse, pour connaître  la cause de  cette submersion inattendue. Elle suffoque en remarquant un grand nombre de femmes rassemblées autour d’une seule autre dont la peau du visage est aussi ridée que celle d'une outre de nomade. La grosseur de la femme est confondante. Cependant autant de personnes autour d'elle à ses petits soins prouvent qu'elle est vraisemblablement une personne de qualité.  Notre baigneuse, jalouse, lui cède la place et quitte le bassin... à regret. 

Dans le vestiaire,  elle cherche ses vêtements, elle ne les retrouve pas. Elle marmonne "Où donc peuvent-ils être mes vêtements ?  Mon ballot n'est pas là, il n'est pas ici, il est encore moins par là !" Serait-il par là ?" Elle regarde partout pour finir, d'un geste sans conviction, par relever la lourde tenture et pousser un cri : son ballot est là et sous ses yeux il s'enfonce tout doucement sous l’eau du bain parfumé à l'essence de rose  !   Elle gémit : 
"Mon ballot, mon beau ballot de cashmere… mais qui a osé te jeter dans l'eau  ? »


« La femme du Devin du Shah elle-même ! » dit une voix féminine
Amina se retourne pour découvrir une jeune et délicieuse servante qui comprenant son air contrit tente de la réconforter : 
« Ne cherchez pas pourquoi, madame ; 
la femme du devin du Shah a jeté 
votre ballot dans l’eau parce qu’elle est 
jalouse de votre trop belle beauté !!!! » 


L’humiliée

"Trop belle beauté, trop belle beauté, ... la belle beauté rattrape son ballot, l’ouvre, enfile ses vêtements mouillés et quitte l’établissement. Quelques rues plus loin elle entre dans sa demeure… dé gou li nan te et enragée. Elle enrage !!!  elle enrage ! 
« Ce n’est pas parce que je ne suis pas 
une femme de noble condition 
qu’on peut faire n’importe quoi 
avec mes vêtements, ce n’est pas parce que … 
ce n’est pas parce… 
Et d'un « ce n’est pas parce que » à un autre « ce n’est pas parce que »,  son mari retrouve une épouse débitant des mots intraduisibles et hurlant de plus en plus fort. Il n’a pas le temps de dire « Mais que se pass… » que la colère de la jeune femme reprend de plus belle

« Il n’y a pas de mais… monsieur mon mari. 
Plus jamais je ne me ferai insulter, 
plus jamais je ne serai pauvre, 
je suis bien trop belle pour être humiliée !" 



Et s'adressant à lui elle ajoute 
"Dès demain Akram tu vends tes planches et tes cordes de portefaix et tu deviens DEVIN !!!!!!!!!!!!

Devant cette vocation inattendue et imposée, Akram le portefaix s'étonne  : 

«DEVIN !!!!! rmais tu n’y penses pas !!! »

« Si, j’y pense, demain tu seras DEVIN ! un point c'est tout ! Sinon ….» "Sinon... c'est pas bon signe, Akram lève la tête inquiet 
« Sinon je te quitte. » 
Point, c’est dit !

La nuit était belle, toute grand bleu Waterman, 
toute  belle et grillons chantants. 
Le candidat à l’art divinatoire prend sa femme par la main et  la mène dans leur chambre, 
 là où il est certain de l’emmener au 7ème ciel. 
Mais nuage après nuage, et quoi qu’il fasse 
il comprend que la belle Amina ne changera pas d’avis.







2ème partie
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Le lendemain 

Le lendemain l'époux de la belle Amina se rend au souk. 
Son pas est lourd et ses épaules tombantes trahissent son malaise. 
Qui voudra bien lui acheter sa planche et ses cordes qui sont le matériel du parfait portefaix ? 
A-t-il parlé à haute voix ? Quelqu'un lui répond. 
« Moi ! Combien en voulez-vous ?"  
Incroyable, l'affaire est faite sur le champ. Le matériel passe de l'un à l'autre. Quelques minutes plus tard Akram, futur devin, se promène  dans le souk pour faire quelques achats nécessaires à sa nouvelle fonction. 
Il en repart avec dans les bras
  • un plateau en bois d’olivier
  • deux dès 
  • une chaîne sur laquelle sont accrochées des pendeloques : compas,  croix, étoiles à 5 pointes, lion,  lunes, oeil égyptien, et autres petites formes …. 

Dans la foulée du retour, quelques quartiers d’Ispahan plus loin, une échoppe abandonnée l'attire : il s'y installe.



Le portefaix est tout étourdi. Il a du matériel, un lieu pour exercer son nouveau métier et l'ambiance. Il est bon pour un devin de posséder un divan : il a un divan ; il est bon pour un divan d'avoir des coussins : il a des coussins  ;  il est bon pour un plateau d’olivier d'être sur une table basse incrustée de motifs de nacre ; plateau a table basse ; il est bon pour la table basse de reposer sur un opulent tapis : table est sur opulent tapis ; il est bon que l'ambiance accueille des chandeliers : il y a ici et là des chandeliers d'où émanent senteurs et fumerolles parfumées à la rose !
De quoi se féliciter. AKram devin.... se félicite

"C'est facile de devenir, devenir devin  c'est quasi fastoche" et il ajoute "Belle Amina tu ne t'es pas trompée, tu avais raison,  devenir Devin c’est facile ! 
Il ne me reste plus qu’à apprendre"
et il s'apprête à chercher un maître....

Il n’en a pas le temps. Sur le seuil de son échoppe  apparaissent à contre-jour trois caravaniers enturbannés. La parole vive ils ne cessent de s'interpeler. 


.............................................................................Premier contrat de travail
Chercher la mule et les deux sacs d'argent

« Ne sommes-nous pas chanceux les amis, 
ne tombons-nous pas sur l'échoppe d'un devin, 
un devin vrai de vrai qu'en pensez-vous, 
nous ne pouvions mieux rêver !!!!"
L'époux d'Amina se pince le bras pour savoir s'il ne rêve pas : sous la douleur il comprend qu'il ne rêve pas et qu'il entend bien la parole de l'un des trois hommes : 


« Devin nous avons perdu notre mule. 
La mule encore, c’est presque rien, 
mais les deux sacs qu'elle portait 
étaient pleins à ras bord 
de pièces d’argent destinées au trésor du Shah, 
Là c’est plus que rien ; c’est Tout.  
Si nous ne les portons pas au Shah, 
nous mourrons : un sabre et pschhhhhhh 
nos têtes rouleront sur le sol comme elles 
rouleraient sur la place Djamah el Fnaââh » 
Celui qui parle s’accroche au bras droit du nouveau devin « "Nous avons besoin de ton aide, 
retrouve notre mule Devin, 
Aide-nous Devin, aide-nous ! »

Le plateau d’olivier, les deux dès, la chaîne…. l’ex portefaix devenu devin voit passer son matériel professionnel, mais il ne voit pas sa capacité à les utiliser : que doit-il faire ? Comment faire ?

Les hommes insistent :
"Aide-nous Devin aide-nous !"


ida-victoire.fr


Sursaut de vie

Le Devin-Portefaix sait qu'il n’a aucune idée du lieu où se trouve la mule. Il sait qu’il ne peut pas aider les trois hommes.  Ni même  un seul. Il sait une seule chose :  Il sait sur sa nuque la froideur du sabre.   Il sait la perte de sa vie. Il s'apprête à défaillir quand à son grand étonnement et dans un sursaut de vie  il s’entend répondre une chose ahurissante :

D’accord je vais vous aider
« Achetez 1 kg de pois chiches et 1 kg de raisin sec et mangez ainsi que je vous dis, l'un après l'autre
un pois chiche
un raisin sec
un pois chiche
un raisin sec
un pois chiche
un raisin sec
et avancez  jusqu’au dernier pois chiche ou même avant le dernier raisin sec et croyez-moi, c'est ainsi faisant que vous vous retrouverez votre mule  ! »
Le mari d'Amina tremble de peur mais il n’en montre rien.

Les caravanier ne se sentent plus de joie. 
« Combien veux-tu Devin ? 
Combien veux-tu, ton prix sera le nôtre, 
combien veux-tu, 
nous voulons te remercier ? »

« Que ça ? "
Le devin a donné une stupéfiante réponse
Tu en auras le centuple » 
Et sur cette  parole, les caravaniers se sont éloignés  en direction du marché pour faire leurs emplettes.

Quant au nouveau devin, il se répète 
« Le centuple ? Rien n’est moins sûr, 
rien n’est moins sûr » 
Et se tordant les mains sous une douleur future, il répète 
« Rien n’est moins sûr »

PERSONNE N’EST JAMAIS SÛR DE RIEN

Notre nouveau Devin, pourtant devin pas plus que quiconque, ouvre bientôt forts grands ses yeux et ses oreilles car les caravaniers reviennent. Et leur mule les précède et le devin remarque qu'elle porte sur ses flancs deux sacs qui semblent pleins à ras-bords. Seraient-ils plein emplis des pièces d'argent destinées  au Trésor du Shah ? 
"Fermez vos yeux Devin et tendez vos mains" 
lui dit-on. Devin ferme ses yeux et tend ses mains en avant, ravi. Et il ne peut s'empêcher de rire en entendant le bruit  chaleureux que font les pièces d'or en s'entrechoquant les unes avec les autres. 

« Voilà pour toi Devin, tu es impressionnant, 
figure-toi que nous avons retrouvé notre mule 
bien avant d’avoir tout mangé ! 
Tu es un vrai devin ! Merci Devin»

Akram, le jeune époux portefaix d'Amina, devenu devin, remercie les caravaniers  de le remercier mais il dit qu'il est curieux d'entendre leur histoire ! 

C'est Yeunice qui raconte. Il est le plus joyeux des caravaniers. Au fur et à mesure de ses paroles, le devin ouvre grand les oreilles, écarquille les yeux et quand les heureux caravaniers s’éloignent il ferme aussitôt sa boutique et court conter l’événement à son épouse. Elle lui répond en souriant 

« Tu vois, j’avais raison, je ne me suis pas trompée,  tu n’avais plus rien à faire à rester portefaix, tu t’y éreintais, tu vieillissais avant l’heure alors qu’aujourd’hui, seulement assis tailleur sur un coussin soyeux, tu  gagnes ta journée, et comment » Et de conclure 
« Je te le dis et je te le redis tu dois être devin et devin tu seras sinon…

C’est lui qui termine sa phrase : 
« Sinon je partirai… je le sais je partirai Amina,  pourtant, laisse-moi te dire, ces 5 écus, que tu soupèses encore dans ta main ne sont jamais que le fruit du hasard et le hasard ne se présente pas deux fois de suite…il faut que je reste portefaix, il faut que je retourne au bazar d’Ispahan, ma présence y est écrite dans le ciel depuis longtemps, 
mon père travaillait au bazar d’Isfahan, 
le père de mon père travaillait au bazar d’Isfahan
le père du père du père du père de mon père travaillait au bazar d'Ifahan… et de toute façon…. inutile de remonter aussi loin, je le sais : demain je ne devinerai plus rien, demain, dès demain, nous mourrons de faim !"

Amina interrompt brutalement son mari
« Tais-toi Akram tais-toi, tu n’es qu’un poltron, 
je veux que tu sois devin et tu seras devin 
et davantage 
demain, je te le dis, tu seras… GDDS et s'il faut que je te traduise ce sigle, je te le traduis, tu seras Grand Devin Du Shah » 

La nuit était belle, toute grand bleu Waterman, 
et tous grillons chantants. 
Le candidat à l’art divinatoire prend sa femme par la main et  la mène dans leur chambre, 
 là où il est certain de l’emmener au 7ème ciel où tout s'oublie. 
Mais nuage après nuage, et quoi qu’il fasse, Akram sait que 
la belle Amina ne changera pas d’avis.



3 ème partie 
.................................................................................................................... le fruit du hasard


Le lendemain Akram, portefaix Devin devenu, se rend à l’échoppe.
A son grand étonnement on l'y attend ;  il y a du monde sur son seuil.  Et quel monde : le maire, l’adjoint au maire, le chef de la police. 
Le chef de la police ! Une seule idée vient à l'esprit d'Aérant : le chef de la police l'attend pour l'arrêter, l'arrêter pour exercice illégal de l’art divinatoire... 
faux et usage de faux...
usurpation de compétences… Les trois-là sont là pour l’arrêter !!! Le coeur d'Akram s’affole, ses jambes flageolent :  Cependant quelque chose l'interpelle : pourquoi se tournent-ils vers lui et lui sourient-ils ? 
C’est à n’y rien comprendre.

Comme il avance vers la porte, les trois hommes s’écartent pour le laisser passer, le saluent mains sur poitrine et turbans baissés. Akram ouvre la porte, il entre, ils le suivent, il s'assoit sur le divan, les trois hommes, assis tailleurs, s'installent sur les coussins sur le tapis et le maire se met à parler


Devin, cela fait 40 jours que 
l’or du Trésor du Shah a été dérobé 
40 jours  que tout le monde le cherche 
y compris le Grand Devin du Shah, 
40 jours qu'on ne le retrouve pas. Or nous avons 
appris que tu avais retrouvé la mule des caravaniers et l'argent qu'elle portait , 
alors…
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Akram Portefaix Devin Devenu pense "Alors niet, niet niet niet !" et il regrette aussitôt la parole des caravaniers. "Pourquoi ont-ils trop parlé, c'est même pas Toltèque !!!!"
Akram se plie en deux de peur...
L'adjoint, le chef de la police, le maire pensent qu’Akram les honore de son salut. Ils se trompent. 
Akram ne pense qu’à une seule chose : aux lanières de cuir qui lui lacéreront la chemise et le dos pour cause de pénitence. Il n'y échappera pas cette fois. Comment ne pas penser à sa femme. Il y pense
« Oh Amina, Amina,dans quel pétrin m’as-tu fourré ma femme, qu’Allah te pardonne et surtout 
qu’Il me protège !!!!!!! »

quand un bruit métallique résonne à son oreille. Une bourse de cuir apparaît sous ses yeux. Celui qui la lui tend n'est autre que le maire, qui l'implore : 
 « Prends Devin, ces cinq cent écus d’or. 
Prends-les, ils ne sont qu’une piètre avance  !  
Prends et concentre-toi mais viens-nous en aide»


Gageons que cinq cent écus d'or à titre d'avance sur la récompense ne peuvent qu'influencer de la plus heureuse des manières. La réponse que Akram fait au maire, ahurit Akram lui-même quand il s'entend répondre 
« Partez et revenez demain à la même heure ! » 

Les hommes s’éloignent. Akram réfléchit 
Il n’a jamais pris de bon temps ; il est temps de le faire. Il prendra le dernier qui lui reste, avant d’assumer les sueurs froides du lendemain. Il allume des encens ; il s’allonge ; il sourit ; il goûte la détente ; il rêve éveillé. Mieux vaut éviter de penser à ce que demain lui réserve. Akram ne pense qu'à l'instant présent. Il lâche prise. 


....................................................................................Ahmed se tirera-t-il de ce mauvais pas ?


Cependant, ce même jour, les voleurs de l'or du Shah cherchent à savoir ce que l'on dit d'eux. La troupe s'est répandue dans la ville. Chacun a sa mission. La mission du Chef des voleurs est de suivre le maire.  Il a tout entendu de la conversation. Il court tout raconter à ses complices, remonte l'avenue Chahar Bagh, passe devant le palais du roi Ali-Ghâpo et rejoint la place de l'Imam, lieu choisi pour un rendez-vous dont ils sont tous convenus. 


"Mes amis, demain nous serons morts ou, au mieux, emprisonnés, 
le maire a confié notre recherche au devin 
le plus puissant des plus puissants devins. 
Demain le devin dira au maire qui  a 
cambriolé le trésor du Shah et où se trouvent l'or et les bijoux ! je vous le répète mes amis, demain nous serons mort ou pour le moins
em-pri-so-nnés"

La chair de poule les saisit tous. D'un commun accord tous décident de suivre le devin. Les voleurs suivent le devin comme leur ombre. Ils ne s'arrêtent que lorsque le devin s'arrête lui-même au souk pour acheter deux livres de douces figues de Barbarie;

Quand l'époux d'Amina parvient chez lui il fait nuit. Le chef des voleurs  monte sur le toit. Il espère entendre par la cheminée les conversations entre le devin et son épouse.  
Amina n'hésite pas."Combien as-tu gagné aujourd'hui ?"  
Face à la réponse, elle répète, hébétée
 "Cinq cent Zécuuuuuus... Lumière de mes Yeux j'avais bien raison de te conseiller de devenir devin, 500 écus d'or, te rends-tu compte ! Je te félicite"


"Tu me félicites, tu me félicites Amina, 
mais moi je m'interroge. Qu'est-ce que je vais bien 
pouvoir dire au maire 
quand il viendra me voir demain  !
Je n'ai plus qu'à demander l'aide d'Allah ! 
Qu'il me protège celui-là ! Me retrouver devant le maire encore, mais devant le Shah, Amina, le shah, te rendes-tu compte. 
Je sens que tout ça finira en prison Amina 
et quand j'y croupirai Amina mon amour 
tu te souviendras comme était agréable 
le temps où je n'étais que portefaix !"


Amina ne répond rien. Elle est trop occupée à manger les bonnes figues. Elle les avale si vite qu'il ne peut s'empêcher de lui conseiller de manger ces fruits avec plus de retenue 
"l'un après l'autre, l'un après l'autre"  
Au moment même où les voleurs rejoignent, l'un après l'autre, leur chef sur le toit. Ils sont terrorisés. Le devin parle d'eux. Le capitaine confirme 
" ce n'est pas n'importe quel devin 
c'est un devin doué,  un devin extraordinaire, 
mieux, c'est un magicien, mieux c'est un clairvoyant... 
je vais aller lui parler"

Du toit au sol, les graviers chantent la réception des babouches du chef des voleurs.  Akram le portefaix Devin devenu entend le chant des babouches, pire,  mieux il entrevoit l'ombre du chef des voleurs : il s'en effraye. Il interroge 
" Qui est là ? Y a quelqu'un ?"


"Ce n'est que moi Devin, moi serviteur de la Gloire des Devins, 
moi ton humble serviteur, 
et je m'étonne de t'entendre me demander, 
 qui je suis, toi qui sait tout sur tout,
 toi qui sait que je suis le chef des voleurs ; 
pourquoi me demanderais-tu où j'ai caché notre butin 
quand tu sais que je l'ai caché dans le jardin du vieux Saïd ;  
Fais connaître au Shah où est son trésor, mais  
ne nous laisse pas saisir par ses sbires,  prends 
ces cent écus d'or, ils sont à toi, ne les refuse  surtout pas ô bienfaiteur.

Akram portefaix devin devenu, ne fait aucune difficulté. Il prend les cent écus d'or. Les voleurs partent, réjouis de sauver leur vie.
Amina, heureuse de voir cent nouveaux écus, ne cesse de répéter "Merci les figues" et se tourne régulièrement vers son devin d'époux en répétant "Qand je pense que tu ne voulais pas devenir devin, quand repense que tu ne voulais pas devenir de... quand repense que tu ne voulais pas deve que tu ne voulais pas... il fallait être fou pour refuser ma proposition ! "  

Le lendemain matin Akram se rend à son échoppe le pied léger, mais il s'arrête lourdement. ils l'attendent déjà.   Le maire, tout comme son adjoint, tout comme  le chef de la police locale sont là. Akram  prend un visage sévère pour s'étonner : "Comment donc, à peine le jour vient-il de se lever que vous êtes déjà à m'espérer ?" 
Le maire s'apprête à parler ; Akram continue ne se frppant le front de la paume de la main
"ah oui, ça me revient, je me souviens, la mule, l'or du Shah, votre question, ma réponse... La voilà, rejoignez  les ruines des jardins du vieux Saïd, à l'orée de la ville. les bijoux et les pièces d'or vous attendent dans l'une de ses caves !" 

Les trois dignitaires obéissent. Ils découvrent la justesse divinatoire du Devin Akram. Akram reçoit de la part du Shah pour "le devin inconnu" une belle coupe toute d'or.  

Et le conte aurait pu s'arrêter là... 
... cependant il se poursuit. 

........................................la bague à l'ÉTOURDISSANT

Pauvre Devin, pauvre Akram. 
Quelques jours plus tard un bruit court : Falisha, la fille du Shah, a perdu sa bague à l'Étourdissant, une bague de grande valeur offerte par son père le jour de son dernier anniversaire. Une bague qui porte un authentique et si fabuleux saphir qu'on l'appelle "l'Etourdissant". Tout le monde est sur le pied de guerre. Mais personne ne le trouve, pas même le devin impérial. 
Le souverain fait venir le devin inconnu qui a retrouvé une partie de son trésor. Les gardes le mènent directement au harem. Les eunuques et les servantes, en vêtements d'apparat, lui font une haie d'honneur. Dès son arrivée le Shah questionne " Devin concentre-toi, aiguise ton regard et dis-moi ou se trouve la bague à l'Etourdissant que ma fille Falisha a perdu.....

Pauvre Devin, pauvre Akram...
qui sent couler de son front une sueur froide ; qui se dit à la sentir 
"Je suis dans un mauvais pétrin, je suis dans un mauvais pétrin ; que dis-je, pétrin ! 
Pétrin n'est pas assez fort ! Puits est plus juste 
et il est si profond 
que je n'en sortirai pas vivant !" 
Le Shah s'impatiente. Il élève la voix, tire Akram de sa réflexion. Akram regarde du plafond au plancher  à droite, à gauche, en haut, en bas et finit par répondre "Majesté, j'ai beau regarder à droite, à gauche, sur ma vie et sur mon âme Majesté, je ne vois rien d'autre en vérité qu'un trou dans le mur"

À  l'instant même  Falisha pousse un cri et s'exclame 
"Le devin  dit la vérité mon père" 
et elle se met à rire en se frappant la poitrine de contentement. 
"J'ai oublié, mon Père, 
qu'en ôtant ma bague aux Bains, 
je l'avais posée dans un interstice du mur !"  
D'un pas rapide et léger, Falischa s'échappe de la salle. Tout le monde  plonge dans le silence : eunuques, servantes,  sultanes, jusqu'au Shah son père, tous restent bouche bée d'admiration devant le fabuleux devin. 


Falisha revient des Bains,  bague au doigt et saphir si fabuleux que tous reconnaissent  "l'Etourdissant"..... 

Le Shah remercie le devin inconnu. Il prive de sa charge l'ex-Premier Devin mari de la lourde baigneuse. Le voilà à la retraite. Il nomme le mari d'Amina PDDLC autrement dit "Premier Devin de la cour" et la fonction est contresignée d'un sceau au bas d'un  parchemin.


Et le conte aurait pu s'arrêter là... 
... cependant il se poursuit. 

.............................................................Le défi du Shah

Quelques jours plus tard, le Shah s'en va chasser la gazelle. Il est accompagné de ses frères, cousins, amis, vizirs, commandants de sa garde, officiers supérieurs et  Premier nouveau Devin de la Cour, Akram. Tout un convoi.  Et les chasseurs de gazelles se répandent dans la  steppe.

Au bout d'un temps, un criquet s'installe sur le pommeau de la selle du Shah. Il essaie de l'attraper. Ce n'est pas facile, il essaie encore. L'insecte échappe au Shah moultes fois.  Le Shah s'énerve 
"Sacré criquet, tu crois que je ne t'attraperai pas, 
mais je t'attraperai" 

Le Shah ne pense pas faux : dans l'instant les petites pattes de l'insecte chatouillent  le creux de sa main et si bien, qu'une idée lui vient à force d'en rire : pourquoi ne pas mettre le nouveau Premier Devin De La Cour au défi de savoir ce qu'il tient dans le creux de sa main ?

C'est fait, le Shah a posé la question. 
Pauvre Akram, pauvre nouveau devin ! Il pense 
"Bien sûr que non je ne suis pas vraiment l'homme 
qui convient à l'emploi où tu m'as élevé !" 
Il tourne la tête, non pas pour montrer qu'il réfléchit, mais plutôt pour cacher au regard du Shah son inhabituelle pâleur. Et il pense 
"Je vais être ligoté sur le champ, 
puis de retour au palais 
je serai jeté en prison comme escroc !" 
"Ahhhh Amina, Amina ma belle rebelle,  tu es parvenue à me pousser à ma perte !" 
et sur l'instant, sans savoir pourquoi il dit   
"Criquet qui a  bondi une fois, criquet qui a bondi deux fois et même trois, tu as si bien bondi Criquet 
que te voilà dans la poigne du Shah !"

Akram croyait avoir simplement pensé, il a parlé à voix haute. Le  Shah le félicite chaleureusement et demande à tous, frères, cousins, amis, vizirs, commandants de sa garde, officiers supérieurs, jusqu'aux derniers domestiques, piqueurs et autres veneurs d'admirer l'insecte que le nouveau devin ne pouvait savoir exister dans la paume de sa main. Et il se congratule 

"J'ai le meilleur premier devin du monde, 
 le premier meilleur devin du monde !"


Akram reçoit de la part du Shah trois magnifiques robes d'apparat et de l'or plus qu'il n'aurait jamais espéré en avoir. La belle Amina qui ne sait plus compter cet argent tant il en possède ne se lasse pas de dire combien son idée était bonne et combien Akram a eu raison  de lui obéir. 


Raison, raison.... Akram pense surtout qu'il est terrorisé, 
que oui il n'est pas celui que l'on veut qu'il soit, 
que oui il n'est pour rien dans son succès, 
que oui, seule la chance et le hasard sont responsables 
et que tout ça finira bien par se terminer. 
Alors on l'arrêtera,  
on lui tondra la tête,  
on le chassera à coups de bâtons. il n'aime pas les coups de bâtons, ils lui font peur.  Il n'a plus qu'un seul désir : il veut redevenir portefaix, il veut travailler au souk sans crainte ni tracas. Mais il sait cela impossible : s'il le faisait, si la garde impériale le découvrait, le Shah indigné ordonnerait qu'on lui coupe la tête.


............................................... Se faire passer pour fou

Le malaise de Akram augmente jour après jour, nuit après nuit.  Le fardeau de la divination lui pèse lourdement sur le dos bien plus que planche de portefaix chargée. Et soudain il sourit : l'idée lui vient de se faire passer pour fou. Voilà ce qu'il doit faire : se faire passer pour fou, les fous, dans son pays, on  les laisse tranquille ! 
Sa décision est prise. 
Akram donne à ses cheveux un air ébouriffé, puis il quitte sa demeure et court, comme un dératé en direction du palais, il y pénètre le pas vif et entre encore plus vif dans la salle du trône où siège le Shah. Toutes les paroles s'interrompent. Et dans le silence et la rapidité, Akram, arrache sa couronne au Shah et la jette au sol, tout en lui prenant le bras et en l'éloignant de son trône.

Le Shah est ahuri. Il s'apprête à interroger sévèrement son nouveau devin quand il aperçoit, sortant de sa couronne  une minuscule vipère. 

Il se met à bégayer "Mais tu... tu tu tu m'as sauvé la vie Devin ! Si tu n'avais pas ôté ma couronne ç'en était fait de mon règne " Et d'appeler 
"Gardes, allez chercher le Chef du Protocole, et qu'il apporte le Grand Cordon de la Légion des Services Exceptionnels. " Et le temps d'un aller-retour, le grand cordon autour du cou, Akram le devin retourne chez lui et retrouve  toutes ses craintes, ses terreur, ses angoisses : 
"Je suis un incapable, un mauvais simulateur,  c'est encore une fois l'instant, la chance, le hasard qui se sont liés contre moi, que vais-je devenir ?" 
Au comble du stress, Akram part au hammam goûter à son tour la bonne eau parfumée à la rose.  Allongé sur le dos, pour apaiser ses tensions, il sent soudain la froide sensation du tranchant du sabre du bourreau sur son cou.  Aussitôt il bloque son attention sur le parfum de l'eau  à la rose. Une idée lui vient : il simulera une fois de plus la folie. 


................................Se faire doublement passer pour fou

Quelques jours plus tard il se précipite au palais, vêtu de rien, dans la seule tenue offerte par Dieu ou Allah dès la naissance d'un homme : tout le monde écarquille les yeux de surprise ; et de surprise personne ne l'arrête. Les hallebardes n'ont pas le temps de se croiser. Dans le palais les gardes sont ébaubis, aucun n'intervient pour arrêter sa course folle. C'est ainsi que nu comme un ver et à toute allure Akram pénètre dans le bureau du Shah, se précipite vers lui, l'arrache à sa fonction, l'entraîne dans les escaliers. Et il faut imaginer le spectacle offert par les deux hommes : l'un tout vêtu d'un sublime caftan rouge brodé de lunes d'or et d'argent, l'autre nu, nu comme ver.

Par la barbe du prophète que se passe-t-il dans le palais aujourd'hui, murmure-t-on devant leur passage. Pas le temps de répondre un craquement sinistre se fait entendre et le plafond du bureau du Shah s'écroule dans la salle.

Les courtisans sont admiratifs : Akram a surpassé sa dignité en courant nu comme un ver sauver le Shah. Il n'avait pas une minute à perdre. Il n'a pris aucune précaution à son sujet et tout cela pour sauver le plus haut dignitaire du pays. 

Sur l'esplanade, le Shah, encore secoué mais souriant offre à Akram la fameuse distinction de l'ordre de l'Éléphant d'Or. Il ajoute 
"Devin tu es merveilleux, je te remercie d'exister. Désormais, chaque jour et à la même heure, je te poserai une question. Pour aujourd'hui, repose-toi, quant à moi je n'ai qu'un désir être déjà à demain"


Akram s'étouffe d'horreur : ainsi par deux fois, sa folie simulée ne serait parvenue  à rien d'autre qu'à le gratifier doublement dans son poste de Premier Devin du Shah ! 
Akram fait demi-tour et sans tambour ni trompette disparaît dans la foule qui s'écarte pour le laisser passer et s'incline pour l'honorer. 

Mais Akram n'en a rien à faire. Il fonce, fonce en avant et s'il n'est toujours pas mort peut-être erre-t-il encore, toujours décidé à passer définitivement pour fou, plutôt que pour devin.


Sagement, voici la fin de ce conte, venue.



Il n'est pas tiré de cet ouvrage de Hugh Lupton
dont follement j'utilise l'illustration



FIN









samedi 1 avril 2017

Conte original et ariégeois pour Elle, née à Toulouse.


Les “Prestous” ou LES “Vacairols” 


Bonjour, extrait de RECITS & CONTES POPULAIRES DES PYRENEES  - réunis par Jean-Pierre Piniès dans le pays de FOIX NRF (Racontes et contes del pais de Fois - GAILLARD - 1978

Il était une fois, l’Emile. 
Outre d’élever des araignées, il tenait en métayage une ferme perchée sur une colline des Petites Pyrénées, au pays d’Ariège*. Il avait dans son étable une jolie paire de vaches, deux magnifiques génisses et un beau taureau à l’oeil vif. La grange avait été tassée de bon foin qui avait bien mûri au soleil et dont la coupe et le séchage avaient été réussis. Mais les bêtes avaient bon appétit et, depuis le mois de décembre qu’elles mangeaient au râtelier, elles avaient vidé presque entièrement la grange.

On était arrivé aux derniers jours de mars. Le froid avait disparu et il ne restait plus, de ci, de là, que quelques plaques de neige. Les jachères commençaient à reverdir au soleil qui se faisait chaque jour un peu plus chaud. Le brave métayer  pensa qu’il allait pouvoir bientôt faire paître ses bêtes dans l‘herbe qui poignait partout. Aussi, le 28 mars il leur remplit le râtelier avec les dernières brassées de foin. Cela fait il eut l’orgueil et la témérité de sortir sur le seuil de son étable et de narguer le temps en ces termes : 
“Al despièt de març e de marselhetas, Ei escapat mas vacas e mas bedèlhetas” soit “En dépit de mars et de “marseillettes” j’ai sauvé mes vaches et mes génisses”
Mais qu’a...vai...t-il.... dit.... là......, le malheureux !
- Ah ah, fit le mois de mars, cet homme plein d’orgueil croit avoir sauvé son bétail ? Nous allons voir si ce sera vrai !
Et ce faisant, Mars se tourne vers Avril, son petit frère et il lui dit :
- “Abril Gentil, Présta m’en un, pressa-m’en dos, E dos, qu’en teni faràn quatre ; le bestià d’en pages faèm pérnabatre !”
“Abril Gentil Prête m’en un (jour), prête m’en deux et deux que je tiens (encore) cela fera quatre ; Nous ferons trembler de froid le bétail du paysan”
En frère obligeant, le mois d’avril consentit à cette demande et accorda ses deux premiers jours à mars. Et aussitôt celui-ci se déchaîna dans toute sa fureur. Dans la nuit du 29 au 30, le vent d’ouest se mit à souffler en charriant de lourds nuages noirs qui ouvrirent leurs écluses sur la terre. 
Le lendemain matin, à cette pluie froide succéda la neige qui recouvrit bientôt tout le pays. Et la tempête dura quatre jours. Au 3 avril, champs, prairies, jachères, pâturages, tout était enseveli sous une épaisse couche blanche. 

 
Photo du gîte du HOO

Le paysan ne put faire sortir ses bêtes et le râtelier était vide depuis plusieurs jours ; l’homme s’arrachait les cheveux de désespoir.
A la fin de la semaine suivante les deux vaches et les deux génisses moururent d’épuisement. Seul le taureau vivait encore, mais il tenait difficilement sur ses pattes. Alors le métayer pis les deux poignées de paille qu’il avait dans ses sabots et il les donna au taureau. Celui-ci put vivre ainsi quelques jours de plus. Puis la neige fondit et la bête put être sauvée.
C’est depuis ce temps-là que les deux derniers jours de mars et les deux premiers jours d’avril, les “Prestous*” et les “Vacairols**”, comme on les appelle, montrent leur mauvaise humeur, et que la pluie, et même la neige font se blottir bêtes et gens après les belles journées de la première quinzaine de mars.

Po Lania- @Laniaconteuse

* Les Prestous : vient de pressera = prêter
** Vacairols : vient de vaca = vache