samedi 15 septembre 2007

C'est à Toulouse, sachez-le braves gens qu'on fait fortune !






D'ailleurs je vous le conte EN VRAI -je déposerai une autre fois la version dite place Sainte Anne à Rennes le jeudi 13 spetembre 2007


Il était une fois, l'était un gars. S'appelait Laurent. C'était il y a longtemps. Aux Bazerques d'Ax. "C'est loin, c'est où ?" Direz-vous ? Sachez que ce n'est pas tout prêt. C'est dans les Pyrénées ariégeoises.

Ce gars il avait un frère. Guillaumet. Moins gentil benêt qu'était le Laurent, à sept ans il avait déjà tout compris. Il savait que c'est à Toulouse qu'on fait fortune. A quatorze ans moins un jour, il y débarque, il y déchante -pas facile même à Toulouse de s'enrichir- il y apprend tous les métiers. Il y est même cuisinier de cassoulet aux cocos de Tarbes et surtout il est si sérieux qu'il plaît au cafetier, qu'il plaît à la fille unique du cafetier, et tant que le voilà bien marié et mieux, fortuné pour de vrai car malheureusement le cafetier disparaît. C'est à Toulouse, sachez-le braves gens, qu'on fait fortune pour de vrai.

Malgré son bonheur, Guillaumet pense parfois au Laurent. Une plume, un encrier, un buvard... il bavasse quelques mots à l'écriture. Il l'invite même. Mais le Laurent, un rien lui suffit : son village, son clocher, sa place, sa barbacane, attention, sa femme la jolie Marie et ses deux enfants. Et pourquoi il quitterait tout ça té ?

Mais les choses sont. Puis elles ne sont plus. Soudain, plus rien que la douleur de la séparation : femme et enfants ont disparu, emportés tous trois par une même et méchante maladie. Le Laurent le voilà seul. Les voisins sont bien gentils. Ils le soutiennent. Mais il est seul tout de même. Et pourquoi pas Toulouse, pour le voir son frère ?

Le Laurent se met en route.

Il n'a aucune idée de la distance entre ses Bazerques et Toulouse. Alors vous comprendrez que passé Ax les Thermes, où parfois il est allée à la foire, il est tout plein empli d'espoir.

A Foix il est tout étonné quand une femme lui apprend que son frère Guillaumet il est peut-être dans un café, comme il le lui a dit, mais pas à Foix, puisque à Foix il n'y a pas de Capitole.

Quand il lui demande "mais alors c'est où Toulouse ?" elle le sent si déconfit -on dit de lui depuis "le déconfit de Foix"- qu'elle lui tape sur l'épaule et ajoute en soulignant ses mots d'un bras bien convaincu
"C'est par là, tout dret !"


Pauvre Laurent, il passe de déconfiture en déconfiture.

Plus loin le voilà à Saverdun. Même réponse ou plus ou moins
"Mon dieu, on n'est pas à Toulouse ici non plus ? Mais où t'es-tu fourré mon frère, au bout du monde je crois moi !"
A Cintegabelle, c'est l'inquiétude
"Encore, on n'est pas à Toulouse, mais mon frère c'est vraiment au bout du monde que tu es allé te fourrer !" se surprend-il à penser à voix haute. Et tant, qu'on parle encore du déconfit de Cintegabelle. Et c'est même la double inquiétude car ses Pyrénées qu'il aime tant, il les voit tant diminuer cette fois qu'elles ne sont plus que l'ombre d'elles-mêmes.
"Ô mes pauvres petites, cette fois ça y est je vous perds !""

Mais au bras, sensiblement mêmement convaincu, il poursuit son chemin "tout dret"

Dès lors, jugez de sa déconvenue quand il apprend "qu'il est seulement à Auterive !" L'interlocuteur le réconforte en lui précisant qu'il a de la chance car Toulouse n'est plus que "qu'à trois pas pour tout dire" et d'ajouter "vous avez fait le plus long !"
Comme il chancelle, il s'appuie sur son bâton de bois. On dirait que celui-ci le redresse et l'incite à reprendre son chemin. Laurent reprend son chemin.

Enfin il entre dans Toulouse. Passé un Pont Neuf qui lui paraît bien vieux il arrive sur une esplanade sur laquelle tout plein de gens se croisent, se recroisent, se décroisent. Il en interpelle un.

"Bonjour Monsieur, vous savez où il est mon frère Guillaume !"

Interloqué -un toulousain un rien l'interloque, mais celui-là il est béatement interloqué : du jamais vu, ni entendu : il reste là bouche ouverte avec le temps de la réaction. Remarquez le toulousain il lui faut un temps de plus que la moyenne des gens d'ailleurs -on appelle ça son quart d'heure. Quand celui-ci sort de son "interloquation" il interroge.. "Et votre frère, qu'est-ce qu'il fait, où il travaille... parce que vous savez, Toulouse c'est une grande ville... d'ailleurs, vous d'où venez-vous ?""Les Bazerques d'Ax ?" répète le toulousain,

"Connais pas, mais ce n'est pas grave. Alors? dites-moi, votre frère, il travaille où ?"

Imaginez le plaisir avec lequel Laurent répond
"il tient le café, au Capitole !"

Le toulousain s'est aussitôt exclamé "Ahh pour le Capitole, je peux vous dire", et il lui dit avec moults mots, virgules et points d'exclamations c'est à dire cons et putains, -cette ponctuation si particulière au parler toulousain- et aussi, bras et mains qui tournicotent. Quelques secondes plus tard le Laurent il traverse la place Esquirol, il descend la célèbre rue Saint Rome en jouant des coudes comme le samedi après midi fait la foule dans la rue Le Bastard à Rennes. Et enfin il découvre la place du Capitole. C'est simple il dit "wouffffffffffffff ! puis il reste muet jambes écartées
devant
le grand espace direct branché sur le beau ciel bleu sans même l'ombre d'une trace de nuage
et le beau bâtiment qui lui fait face : cinquante fenêtres, dix mille cinq cent petits carreaux, mille colonnades, un porche immense et un coq... mais non, là pardonnez-moi, je me trompe de ville, vous n'avez qu'à bien observer la façade.

"Hé bé,
dit-il, ce doit être une mairie, on croirait voir la mairie des Bazerques !"
Il s'avance au beau milieu de la place, puis fait face au porche et il est pris d'une telle émotion à se retrouver devant ce capitole dont son frère lui a tant parlé qu'il se réfugie sur un trottoir pour reprendre son souffle. Et c'est là qu'il manque le perdre car soudain une voix lui dit

"Bonjour Laurent comment vas-tu ?"

Laurent est sidéré. Comment se fait-il que qelqu'un le connaisse ici, à Toulouse ?
Il se retourne et se trouve nez à nez avec un bel homme si bien habillé que le notaire d'Ax, à côté, il ne l'est plus.

"Comment donc, mon brave, vous me connaissez ?"

"Et putain con que oui, je vous connais, mon ami, on ne reconnaît plus son frère à présent ?"

Laurent défaille, ses jambes chancellent, il va tomber. Son frère Guillaumet le redresse, passe son bras autour de son cou et commente d'un
"Entre Laurent, ici pas de laissez aller, tu es à Toulouse, allez assieds toi, je te prépare une petite gnole et après on se parle !"


Pour la gnole, ô seigneur qu'elle était bonne
Pour la parole, une vraie tchatche qu'il avait le Guillaumet. Impossible de l'arrêter tout y est passé : le Jean, le Baptiste, le Bois Vinaigre et le Mange Trop ! tout le village en entier, puis il s'est mis à parler de son Toulouse jusqu'à la Catinou "tu sais on dirait qu'elle parle un peu comme chez nous mais c'est pas comme chez nous. Tu verras" Et sur ces mots, soudain il s'arrête de parler.

Laurent, surpris veut comprendre. Il relève la tête. Au regard tête-pied-tête et retour que lui lance sa si magnifique belle soeur que la femme du notaire d'Ax les Thermes à côté elle ne supporte pas la comparaison avec la femme du cafetier, Laurent se lève et prétexte un besoin.

Quand il revient, son frère lui demande de le suivre. La mort dans l'âme, parce que ce n'est pas une idée à lui, il se décide à faire en sorte que son frère ne souhaite pas rester à Toulouse. Les voilà soudain au bout d'un troisième escalier, mais celui-ci tout riquiqui, quasiment une échelle de meunier et bientôt devant une porte qui s'ouvre sur un cagibi si petit qu'ils ne peuvent y tenir à deux.

"Allez, voilà ta chambre mon frère, je te souhaite une excellente nuit" dit Guillaumet et comme il s'apprête à fermer la porte il l'ouvre de nouveau :
"Au fait, ne fais surtout aucun bruit, sinon tu réveillerais la clientèle et elle partirait ! Et pour te lever, attends bien que je revienne frapper à la porte Laurent !" Il l'embrasse et Laurent promet.

Eut-il le temps de se réveiller ? Ce qui est vrai est qu'il se réveilla, sûr de devoir aller aider le Jean à s'occuper de ses chèvres. Quelle surprise, le cagibi était plongé dans l'obscurité la plus noire. Etonné, Laurent se rappelle les paroles de son frère, il va attendre. Il s'allonge et se rendort.

Et ce fut le début d'une nuit étonnante. Où il se réveilla et se rendormit de nombreuses fois. A gémir inhabituellement, à se plaindre, des nuits de Toulouse : il les trouve étrangement longues, jamais il n'a connu des nuits aussi longues. C'est à peine supportable. C'est même insupportable. D'ailleurs, voilà qu'il en a la nausée ; qu'il va en être malade ; qu'il vaut mieux qu'il récite des prières. Et il récite des prières. Et c'est un miracle dans la foulée : lui qui savait bien que sa mère était mécontente de lui car jamais elle n'avait pu les lui apprendre, il se dit que c'est dommage qu'elle ne soit pas là pour les écouter : à l'endroit toutes qu'il les remet ! Mais il se recouche car malgré ses doigts passés sur les murs à la recherche d'un simple instertice, d'une vue sur le monde ou plus simplement sur la lumière du jour, la nuit est toujours totale.

Enfin il se réveille d'un sursaut aux coups frappés par son frère. Il se lève aussitôt et manque se prendre la porte sur le nez.
Guillaumet le salue joyeusement.

Laurent s'exclame "Bonjour Guillaumet, hé bé, comme les nuits sont longues à Toulouse mon frère !"

Guillaumet fait semblant de s'étonner "Comment ça "comme les nuits sont longues à Toulouse" qu'est-ce que tu racontes mon frère ?"
Et Laurent parle " De ma vie je n'ai vécu une nuit aussi longue mon frère, je suis sûr que j'aurais pu m'occuper au moins trois fois des chèvres de Jean ! Quand je lui dirai, il n'en reviendra pas !"

"Comment ça tu lui diras, que nos nuits sont longues, hé bé mais putain con, elles ne sont pas longues frérots les nuits toulousaines, elles sont belles et pleines de plaisir voilà ce qu'elles sont nos nuit de Toulouse ! Allez, termine de te vêtir et suis-moi. Tu vas déjeuner, ... attention mon frère, ici pas de pain aillé ou oignonné sur la tranche, ici du café au lait si tu veux, du thé si tu préfères, une chocolatine, du bon beurre frais, quelques pruneaux d'Agen car on n'est pas chauvin .... voilà comment tu déjeuneras"
Laurent s'habille sans piper mot mais il sait ce qu'il pense, lees nuits sont beaucoup trop longues à Toulouse on finirait par ne plus pouvoir travailler dans cette ville ! il suit son frère, et tant bien que mal il déjeune. Mais quand son frère lui demande de se dépêcher parce qu'il veut lui montrer tout Toulouse, c'est peut-être le trop qui a fait déborder le vase. Le Laurent s'est levé soudainement et il a dit
"Non Guillaumet, je ne visiterai pas tout Toulouse, ni même un tout petit peu. Pas même un petit morceau, tu plaisantes, frangin. Toulouse c'est beaucoup trop pour moi, beaucoup trop de nuit beaucoup trop longues, beaucoup trop de rose, beaucoup trop de Garonne, de Saint-Sernin de Bazacle, Toulouse c'est beaucoup trop même d'accent, j'étais venu te voir Laurent, je t'ai vu, merci, Toulouse au revoir, Bonjour mes Bazerques !"
Et il saisit sa veste et son bâton et il part, et le voilà qui court court court court tant qu'il ne sait plus qu'il traverse la rue Saint Rome, qu'il tourne le dos à la place Esquirol, qu'il passe par dessus le vieux pont que l'on dit Neuf, il fonce. Il ne sait pas qu'il passe devant l'APC mais quand il arrive à Auterive, il sent qu'il serait bienvenue qu'il se repose. A la première auberge il s'arrêt et à l'aubergiste étonné il demande

"Pardonnez-moi, les nuits de Auterive, elles sont aussi longues qu'à Toulouse Madame ?"
A la réponse il dit "alors je ne m'arrête pas" et il fonce à l'extérieur et sur la route il dit
"jamais, non jamais je n'ai vu des nuits aussi longues que les nuits de Toulouse"
et ainsi soutenu il arrive à Cintegabelle. Le jovial hôtelier de l'aller semble cette fois avoir perdu la foi. Mais à la question de Laurent il relève la tête et la retrouve "Mais bien sûr qu'elles sont aussi longues les nuits de Toulouse Petit !" Et il éclate de rire, pendant que quelques derniers joueurs de Trompe-Couillon jouant leur dernière partie se joignent à lui.

"Alors je ne reste pas Monsieur Lionel" Et il quitte l'auberge pour entrer dans la nuit qui est tombée entre temps. Dans son silence on perçoit le bruit de la pointe de son bâton. Il marche vite le Laurent car il marmonne toujours "ah ça non, plus jamais les nuits toulousaines, beaucoup beaucoup trop longues les nuits toulou...!"Et on dirait que ça lui donne des ailes


Et c'est si vrai, que le revoilà à Saverdun le Laurent. Il est bien épuisé d'avoir marché et presque couru. Il est fatigué. Il voudrait bien se reposer. Il a de la chance, une seule maison a les fenêtres encore illuminées : c'est une auberge. Il se précipite et interroge le maître des lieux. "Te voilà bien chanceux l'ami : à quatre heures du matin j'allais fermer, et comme il attrape les clefs pour les tendre à Laurent il est ahuri par la question que lui pose celui-ci :

"Attendez, répondez-moi l'Aubergiste, les nuits ici à Saverdun, elles sont aussi longues qu'à Toulouse ?" et l'hôtelier de répondre en souriant "Mais oui mon ami, sauf que celle-là, elle ne va pas tarder à donner sa place au jour !"
Le plaisir qu'il a fait à Laurent. "Merveilleux" dit celui-ci, "je veux bien passer cette nuit dans votre établissement alors cependant si je ne me réveillais pas à huit heures pourriez-vous venir frapper à ma porte !"


Quand au matin l'aubergiste frappa à la porte de Laurent il plongea lui aussi celui-ci dans la stupéfaction
"Mais que se passe-til avec les nuits, alors à Toulouse elles n'en finissent jamais et ici elles sont à peine commencées qu'elles sont déjà terminées ! Allez vite mes Bazerques, que je vous retrouve !"
Et sous les yeux de l'aubergiste Laurent atrappe son merveilleux chapeau de paille souligné de ruban noir, son fidèle bâton de bois et il file, file file, sans voir Foix, sans voir Ax, sans voir autre chose que ce clocher sous lequel se tient le Baptiste qui se demande ce qu'il peut bien marmonner le petit car lui, il est un peu sourd.

Alors moi je vous l'écris.
Il dit, tremblant d'épuisement et pleurant de joie, dans les bras du Baptiste :

"Ah mes Bazerques,
petit rien qui vaut tant... tu vaux mieux que rien !"

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