samedi 20 février 2016

Contes de la Mort, un conte venu du légendaire cubain : Francisca ou l'heure de Tobi Ramos.

Il était une fois où il n’était pas une île.
Pourquoi pas l'île de Cuba. 
Dans cette île un jour, une voyageuse débarque.. 

Inconnue, sûrement pas. Mais si nous connaissions son nom je gage que ni vous ni moi n’aimerions la croiser. Et j’ajoute que si nous remarquions sa faux, si nous remarquions ses ciseaux, nous ferions demi-tour en courant à perdre haleine pour lui échapper.

Je vous rassure ce n’est pas vous qu’elle vient chercher c’est Francisca. D’ailleurs, où se trouve-t-elle Francisca ? se demande la Mort le nez en l’air, debout sur un trottoir de terre. 

Qui pourrait reconnaître la Mort telle qu’elle se montre ici ? Elle porte comme beaucoup, un magnifique chapeau de paille à large bord. Il cache son visage osseux. Elle arbore une lourde tresse noire et luisante qui retombe sur un grand poncho. Elle cache  l’une de ses mains cireuses dans la poche de sa lourde et large jupe à volants. Personne ne reconnaîtrait la Mort dans cet accoutrement. a moins de  remarquer le ferme appui de son autre main sur un bâton souligné d’une lame maladroitement montée à l’envers.  

Tobi Ramos passe par là. Il n’a rien remarqué de l’étrange positionnement de la lame. De toute façon Tobi Ramos est si attaché à déguster la vie à chaque instant présent qu’il ne sait pas penser à la Mort.  Tobi Ramos n’en pince que pour la Vie. La Vie interpelle Tobi Ramos à chaque minute, à chaque goutte de sang qui file dans son corps, à chaque battement  qui frappe son coeur. Tobi Ramos passe par là la tête plein de vie quad soudain l'inconnue l'interpelle. 

« Excusez-moi, Tobi Ramos je cherche Francisca, 
sauriez-vous me dire où est sa maison, ou bien l’endroit 
ou elle se trouve en ce moment, nous avons rendez-vous ?"

Tobi Ramos regarde l'inconnue qui l'interpelle. Il ne la connaît pas, il ne l’a jamais vue, il en est sûr et pourtant elle a dit son nom. Il répète 
« Francisca ? Où elle est ? 
Elle est peut-être par là bas, 
en direction des marais de Zapata !!!"
Et il se questionne :  "Comment connaît-elle mon nom cette inconnue ?" Mais il ne s’agit pas de lui il s’agit de Francisca. Il lève le bras droit et montre le chemin qui mène vers les marais de Zapata 

« Vous trouverez la maison de Francisca 
en prenant sur votre droite Madame 
mais arrêtez-vous avant les marais de Zapata 
vous pourriez faire plaisir à ces caïmans 
qui raffolent de chair humaine ! » 



« Ah ah ah »  pense la Mort « encore un qui ne me reconnaît pas ! Quel idiot celui qui veut me protéger de ma mort moi l’Immortelle ! Merci Tobi Ramos»

Tobi Ramos veut demander à la femme d’où elle connaît son nom. Trop tard, la femme disparaît déjà à l’horizon.

Elle marmonne la Mort, elle se demande quelle heure il est. Justement, le clocher de l’église du village indique « 7 heure du matin » la voilà rassurée, elle a tout son temps, son rendez-vous est prévu à 13 h 15 et c’est la seule âme de l’île à avoir rendez-vous avec elle, la routine quoi. Moindre mal.

Ce raisonnement lui convient.  La Mort esquisse un sourire satisfait. 

Bientôt elle entre dans un village appelé Constancia. Une enfant se tient debout sur le seuil de la dernière maison du village . La Mort la salue.
« olà nignita, como te llamas ? 
Bonjour Petite comment tu t’appelles » 

« Je m’appelle Panchita Madame ! »

« Bonito el nombre tuyo, joli prénom petite, 
dis-moi j’ai rendez-vous avec Francisca, où habite-telle ? »

Le visage de l’enfant s’éclaire d’un grand sourire. Elle répond d’une voix joyeuse :

« Vous avez de la chance Madame, 
cette maison est la maison de Francisca 
et je suis sa petite fille ! Francisca est ma grand mère» 

On n’aurait pas pu trouver enfant plus fière d’avoir Francisca pour grand-mère. 
La Mort ne se présente pas. Elle demande sur un ton mielleux 
« Est-ce que ta grand-mère est là mon enfant ? »

« Non Madame, elle est partie dès l’aube »
« Et quand reviendra-t-elle ? »

A cet instant ce n’est pas l’enfant qui répond. C’est sa maman qui apparaît à la fenêtre de la maison dont les murs blancs étincellent sous le soleil.

« Panchita, à qui parles-tu, tu sais bien 
que tu ne dois pas parler aux inconnues » 


Un chapeau à large bord se redresse et la mort salue la maman de Panchita et précise 
« J’ai rendez-vous avec votre mère, Madame, 
il fait très chaud, est-ce que je peux attendre 
le retour de Francisca ici ? »

« Avec plaisir Madame, installez-vous, 
il y a un banc sous l’Araguaneye, mais je dois vous dire 
que ma mère est très occupée et qu’elle pourrait bien 
ne pas revenir avant le crépuscule ! 
C’est étrange elle ne m’a pas parlé de votre rendez-vous, 
c’est à quel propos ?»

« Avant le crépuscule ? » la précision donne matière à réflexion à la Mort. Elle regarde sa vieille montre et réfléchit :

« La matinée passe vite, je dois reprendre le train à 17 h peut-être vaut-il vaut mieux que j’aille à la rencontre de Francisca plutôt que de l’attendre là» 

La Mort ne répond pas à la fille de Francisca, elle la questionne : 
« Où puis-je, rencontrer 
Francisca maintenant ? »

« Elle est partie avant l’aube. Elle devait 
travailler un champ, le préparer… 
je pense qu’elle doit être en train 
de l’ensemencer : je crois me souvenir 
qu’elle m’a parlé de graines de maïs… 
je pense que vous la trouverez 
passé la deuxième colline. 
Il vous faudra bien 
quelques heures de marche ! »

La dernière rencontre avec Francisca prévoyait qu’elle devait se faire aux alentours de 13 h 15. La Mort se rassure. Tout est encore possible. 

"Merci Panchita, merci Madame, votre Araguaneye 
est splendide, mais je préfère aller 
à la rencontre de votre mère moi-même" 

La réponse est un peu sèche. La Mort disparaît du paysage.

LA MORT CHERCHE FRANCISCA


La Mort marche marche. Le soleil chauffe, chauffe dur. La Mort faiblit. Son pas est de plus en plus lent. Aucune silhouette ne travaille dans aucun des champs. La colère s’empare de la Mort  : où est-elle passée cette Francisca !
« où est-elle passée cette vieille errante ! » 
La Mort crache au sol de déception. 


LA RENCONTRE AVEC LE PROMENEUR

La Mort est tenace, elle continue sa marche, et enfin sur le sentier elle croise quelqu’un qui monte vers elle
« Olà Segnor, j’ai rendez-vous avec 
Francisca, savez-vous où je peux la trouver ? » 

« Francisca ?» le promeneur est un homme. Le soleil dépose des taches d’or sur sa vieille peau toute parcheminée, à travers les trous de son large chapeau. l’homme ôte son chapeau et relève la tête.
« Bonjour Madame,….. Francisca ? 
Je ‘lai vue il y a … 
au moins une demi-heure, 
elle était dans la maison 
des Noriegas. 
Leur fils est souffrant, elle l’a soigné ! 
Pour trouver la maison des Noriegas c’est tout simple. Continuez tout droit, descendez, remontez… 
et vous vous arrêtez au flamboyant.»

La Mort n’a que faire du flamboyant. Sévère elle interrompt le gentil vieillard « ça va ça va vieil homme, je vous remercie, je vais la trouver merci, j’y vais »

et la Mort s’est remise à marcher à marcher. Elle presse le pas et elle marmonne 
« Sacrée fugitive, j’vais te rattraper 
je vais te rattraper Francisca, 
ton heure est arrivée ! »

LA MAISON DES NORIEGAS

Mais le chemin n’est pas facile, la Mort s’y tord les chevilles et comme il monte raide, la Mort s’essouffle. Quand elle arrive à la maison des Noriegas, elle en aurait pleuré de douleur.

Quand la porte s’est ouverte la Mort a salué 
« Bonjour, vous êtes Francisca, 
j’ai rendez-vous avec vous ! 
Comment cela ce n’est pas vous ? 
Vous n’êtes pas Francisca, 
et ce n’est pas votre maison, 
Mais où est-elle Francisca, 
appelez-là je vous en prie, 
elle a rendez-vous avec moi ! »

« Francisca avait un rendez-vous, elle ne m’en a rien dit, en tout cas elle est déjà repartie ! » La mère de l’enfant tien ses mains sur les épaules de l’enfant. Il ne semble souffrir d’aucune maladie.

Elle est déjà repartie, si vite ? Elle n’a pas mangé ?

Non, Francisca  est venue pour soigner notre fils.
C’est tout. Elle l’a guéri, elle est partie.
 Francisca est efficace et active, elle ne recule devant rien, mais dites-moi ça se voit que vous ne connaissez pas Francisca

Si si je la connais
Prouvez-le moi, parlez-moi d’elle ! 

D’accord, je vais vous dire comment elle est Francisca … 
elle est ridée et elle a déjà 70 ans !

La Noriegas insiste.
ça ne suffit pas, il y'a plein de gens sur l’îlee à avoir des rides et porter 70 ans : dites m’en davantage

Et bien, elle a les cheveux blancs…., 
presque plus une seule dent,…. 
et le nez pointu qui tombe en avant

D’accord tout ça est vrai 
mais vous ne dites rien à propos de ses yeux ?

Et bien je vais en dire, les yeux de Francisca sont vides, 
ils n’ont aucune lumière et ils sont éteints par les ans. 

Alors là je suis sûre que vous ne connaissez pas Francisca. 
Tout ce que vous avez dit est vrai. Sauf pour son regard. 
Son regard n’a rien d’éteint. Au contraire. Le regard de Francisca 
c’est la lumière même. Celle que vous cherchez n’est pas Francisca ! 

Comment ça je ne connais pas Francisca ?
Je connais Francisca. D’ailleurs
 je vais la chercher de ce pas.
Elle a rendez-vous avec moi

La Mort est indignée. Elle est vexée. Elle s’en va en marmonnant  « Bien sûr que si je la connais, je la connais je la connais, et elle marmonne. Et quand elle croise quelqu’un elle questionne Francisca fauche la pâture, la mort vient de l’apprendre.

FRANCISCA ET LA PÂTURE

et marche que je marche  la Mort s’en va vers la pâture.

« Cette fois tu ne m’échapperas pas Francisca, 
tu as rendez-vous avec moi, 
nous avons rendez-vous ensemble ! »

La Mort va va elle marche marche et presse son pas mais quand elle arrive à la pâture,  il n’y pas plus de Francisca que quiconque d’autre  : il n’y a que la pâture  dégagée de toute son herbe !
et la Mort marmonne
« Tu as rendez vous avec moi Francisca, 
j’vais te rattraper »

FRANCISCA ET LES POIVRONS

Et marche que je marche  quand elle croise quelqu’un La Mort questionne : Francisca récolte des poivrons, des rouges, des verts des jaunes auprès du Huerto del Sol. Elle frotte ses mains cireuses 

                                                                    « Tu as rendez-vous avec moi Francisca, 
j’vais te rattraper » 

Et la Mort va va elle marche marche et presse son pas. Elle sait que Francisca ramasse poivrons verts et poivrons rouges, et jaunes aussi mais quand la Mort arrive au potager, il n’y a pas plus de Francisca que quiconque d’autre et de poivrons. Ils ont tous  été coupés. Francisca n'est plus la. 

Et la Mort marmonne

« Tu as rendez vous avec moi Francisca, 
nous avons rendez-vous toi et moi Francisca »

Francisca travaille et ramasse tout ce qu’elle sait mais la Mort ne la voit jamais travailler, jamais ramasser. Et la Mort marmonne : 

« Tu as rendez vous avec moi Francisca, j’vais te rattraper, 
je vais te rattraper Francisca, ton heure est arrivée ! » 

La Mort va va elle marche marche et presse son pas. Elle  trébuche sur les cailloux des chemins, les pieds et les genoux blessés, la chemise noire noyée par la sueur. Elle marronne et consulte l’horaire. Son train est à 17 heures. Il est déjà 16 h 30
« 16 heure trente » C'en est trop. La Mort n’en peut plus cette fois. Elle passe aux insultes. Elle traite Francisca de 
« Démone, je n’ai plus le temps de te poursuivre Francisca ! 
Impossible ! Sacrée Francisca ! Tu m’as tuée ! A cause de toi 
je vais manquer mon train ! Tu ne veux pas me rencontrer, 
et bien ne me rencontre pas. Après tout, fais ce que tu veux, 
tu veux déguster tes rhumatismes, déguste tes rhumatismes"

La Mort décide de retourner sur ses pas. 
La Mort décide d’oublier Francisca.

Pendant ce temps, à deux kilomètres de là Francisca s’occupe de remettre en état un délicieux petit jardin. 


« Bonjour Francisca ça va ? » 
C'est Juan qui passe par là. Francisca répond de ses yeux clairs et de sa voix fragile 
« ça va, Juan merci beaucoup, belle journée »
L’homme s’éloigne. Il pense :  

Sacrée Francisca qui ne veut pas mourir ! 
En voilà une que la Mort n’aura pas !»

Au fait, il faut préciser  quelque chose : Tobi Ramos, s’est rendu dans le marais de Zapata. Un caïman somnolait tout près de l’endroit où il s’est arrêté pour observer dans les arbres le jeu d’oiseaux blancs comme neige et à longues pattes jaunes. L’odeur humaine a réveillé le caïman. Malgré ses cent ans il avait toutes ses dents. Vous imaginez ce qui s’est passé.
Derrière un proche buisson quelqu’un se tenait debout. Qui souriait. En se rappelant un conseil moqueur

« Arrêtez-vous avant d’arriver au marais de Zapata vous pourriez faire plaisir à ces caïmans qui raffolent de chair humaine ! » 

Celle-là qui se tenait debout c’était la voyageuse, celle qui travaille incognito, celle qui ne se présente jamais. La voyageuse que personne n’a le désir de rencontrer sur son chemin de vie. Poncho, lourde tresse noire, chapeau à large bord qui tient le visage de la voyageuse dans l'ombre. Une voyageuse qui ne vous est plus inconnue. Du moins du côté de l'île de Cuba.  La Mort, incognito.
Elle se tient là et elle n'a pas besoin de questionner. 
Elle n’est pas venue pour lui.
Mais il l'a croisée. 
C’était l’heure…. 
L'heure de Tobi Ramos. 




FIN


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