vendredi 12 février 2010

Saint Valentin : l'audacieux Maître d'Hôtel









Pensive. Seule à table. Comme l'an passé, comme l'an passé de l'an passé, comme les autres l'an passé. Encore ? Une fois de plus ? Toujours elle ? Elle seule. Rires !!! Ne ris pas ma chérie, je souffrais. Les autres oui, mais pas moi, toutes mes copines oui, mais pas moi, toutes mes collègues de bureau oui mais pas moi, toutes mes soeurs ! Même mon frère mais pas moi. Seule.... A invoquer Allah !
Grand mère tu n'es pas musulmane ! c'est vrai petite. Alors Calvin ! Grand Mère tu n'es pas protestante ! C'est vrai petite. Alors Dieu ! Ou Bouddha Grand-Mère ? De mon temps on n'en parlait pas de celui-là. Amour, ma chérie, Amour est rosse !!!!
Et alors ? Alors ce fameux 14 février, moi qui ne sortais jamais, je suis sortie.
Où Grand-Mère, au cinéma, au bal, dans un café ? Ni l'un ni l'autre, ma chérie. Au restaurant. Le plus chic tu sais. Le plus distingué. Le meilleur. J'ai mis ma plus belle robe, mes plus beaux souliers, mon plus beau chapeau -tu as toujours adoré les chapeaux Grand Mère !- Les belles robes aussi ma chérie. Mon meilleur parfum, l'idole des parfums. Mon sac à main, un étui pailleté. J'ai traversé la ville sur des talons hauts, quand j'y pense, beaucoup trop hautS. Et j'ai poussé la porte tournante. D'un seul regard j'ai saisi l'horreur mathématique du chiffre 2. Les tables, ma chérie, elles étaient toutes à deux places. Je suis sidérée. Prête à faire demi-tour. Trop tard, le Maître d'Hôtel vient vers moi.
Très BCBG assuré, je lui réponds en souriant "Une table pour deux, j'attends quelqu'un !"
C'était vrai Grand-Mère ?
Tu penses, bien sûr que non ma Chérie. Mais que veux-tu je n'allais pas repartir en courant. J'ai pensé "Affronte !" Il a souligné sa réponse d'une expression que j'aime toujours et dont tout Toulouse résonnait en ce temps-là, d'un "avec plaisir, suivez-moi". Je l'ai suivi. Il a retiré la chaise noire et rouge. Je me suis assise. J'ai saisi le menu rouge et or.
Non ma chérie, je ne l'ai pas ouvert. Je n'ai pas plongé le nez dedans, non, je l'ai posé sur la table et ostensiblement, d'un regard circulaire j'ai découvert la salle.... Confirmation. Duos partout, à toutes les tables. Sauf une.
Comme moi-même à la mienne un homme y affirmait sa solitude. Comme je la découvrais il leva les yeux. Son regard rencontra mon regard. J'ai plongé derrière le menu, tête la première. Non mais je ne voulais pas qu'il s'imagine que... non non non pas du tout.
En fait je n'arrive pas à lire une seule information. Je réponds "celui-ci" en tendant au hasard un doigt ferme à l'emplacement supposé des cocktails. "C'est un choix excellent Madame", me dit-il, quand il revient. Ma foi. Sur sur mes papilles éclatent des grains de grenade flirtant avec une vodka, je rêve, parfumée à la rose. Délicat et explosif.
Oui, Monsieur, je vais choisir le plat principal. Pour deux ? Goujat de Maître d'Hôtel qui, toujours très stylé, enfonce le clou sur la désespérée que je suis. Oui, je suis seule, heu pardon, non, il a dû oublier, oui, il ne viendra plus ! Non. Pour moi-même.
Le plat principal fait l'objet de la même technique de choix. C'est ainsi que je me retrouve à mettre le feu. Je sens tous les regards fixés sur ma table et surtout le sien. J'ai choisi une poêlée de crevettes à la citronnelle. Le Maître d'Hôtel l'enflamme. D'ordinaire j'adore, je suis comme une enfant devant les flammes jaunes et bleues. Ce jour-là j'étais tout simplement coincée, mais il n'y paraissait rien.
Très bon ce plat, un peu piquant mais je ne déteste pas. Je finis par me régaler lorsque deux personnes font irruption. Il est un peu tard. Deux personnes. Mais plus une seule table disponible. Le nez dans mon assiette, le regard en biais, je me demande si le Maïtre d'Hôtel va oser faire ce que je pense qu'il pourrait faire ? Et bien oui, il ose. Et moi de lui répondre "Si cela peut vous dépanner, volontiers avec plaisir !" Et franchement, et à vrai dire, et dans le fond, je suis très en colère. De quel droit mais de quel droit ? Je n'en sais trop rien, mais ce qui est sûr c'est que ton grand-père partageait déjà la table avec moi. Et si je me souviens bien, ses premiers mots furent "Je reconnais, ce n'est pas facile, mais vous êtes une bien jolie personne, faisons de ce moment un fantastique instant. Jouons" Le célibataire des lieux était pas mal non plus. Il avait de l'humour, à faire tomber ma colère. La voilà tombée. Nous n'avons plus arrêté de jouer ma chérie. Quelques mois plus tard, robe blanche, queue de pie et grains deriz, à foison jetés sur nos têtes par nos amis -finalement pas si seuls ni l'un ni l'autre- nous nous mariions. Je regrette beaucoup qu'il ne t'ai pas connue ma chérie.
Ce n'est pas grave, Grand-mère Parrain sait très bien me parler de lui.
Une voix et une expression résonnent à mon oreille. Celles de son parrain, l'audacieux Maître d'Hôtel.

2 commentaires:

aliette a dit…

Votre texte est bien touchant, Aliette

Contes&Lania a dit…

Bonjour
Merci pour la lecture Aliette -pas si facile sur l'ordi- et pour ce commentaire. Belle journée à vous