ce mot vient à ma bouche sans raison apparente. Il traîne dans
ma tête. Il traîne, sans but. C'est un mot banal, un mot allemand, souvent entendu, un mot tout rond d'or, le mot kartoffen,
Je le chante, je le loue, je le vois, j'attrape un livre et je l'ouvre. Il traînait là, à sa façon, sans raison apparente. C’est une NH, traduisez
Nuit Halloween. NH ressemblerait-elle à NPL soit Nuit Pleine Lune ? Les Nuits
de Pleine Lune mes livres semblent animés d'une vie personnelle. Ils quittent
mes étagères, comme pour se rendre au marché. Belle affluence que je m'en
voudrais de gérer.
Livre ouvert je laisse couler les feuilles entre mes mains comme
tout magicien laisse filer les cartes
dans les siennes. Le livre s’arrête sur l'une d'entre elles. Ni il poursuit, ni
il recule.
Magique.
Je lis.
Et je découvre une histoire qui viendrait d'Allemagne. Nombreux disent
qu'ils reviennent chez eux après trente ou quarante ans de belle carrière. Chez
eux. Peut-être moi, chez moi ? Chacun ses légendes.
Dans l'histoire, un juge, la main gauche appuyée sur son bureau,
se redresse et porte subitement et brutalementt, la main droite à son front. Comme sous l'évidence soudaine de la vanité de son travail. Il
jette un regard circulaire et les piles de dossiers lui sautent aux yeux. Et
devant le nombre d’heures passées sur le dernier dossier posé sous son coude
gauche, il pousse un gros soupir et cale.
Il se lève, enfile son manteau, pose son chapeau et quitte son
bureau. Sa décision est prise : il prendra quelques jours de repos avant la dernière audience. Mais
où ? Et qu'en fera-t-il ?
Notre juge ne sait plus que le repos se suffit à
lui-même.
Le juge ne prend pas le taxi comme d'habitude. Il prendra sa
voiture ;
Le juge ne prend pas sa voiture. Il se souvient avoir oublié la
veille où il l’avait laissée. .
Le juge prendra le bus. Mais il revient au juge, qui s'appelle Hans Schiller, qu’il déteste emprunter
ce moyen de locomotion, alors il part à pied. La marche porte conseil. La
preuve, en marchant, Frantz Schiller choisit sa destination. Il ira chez son cousin Hans. A Gessen.
Comme il y a peu de choses à y faire, il y sera à l'abri de toute activité
débordante. C'est son unique nécessité. Son cousin est agriculteur. Il parle peu, de
sujets fort terre à terre, c'est une bonne chose, répondre ne sera pas nécessaire.
Le lendemain même, le juge prend le train et descend à Gessen.
Son cousin vient à lui au volant de son tracteur "je travaillais non loin de
là" se justifie-t-il. Mais
pourquoi se justifier. Le juge veut seulement se changer les idées.
Faire un break, respirer. Se dé con trac ter.
Son cousin l'accueille avec sympathie. "Tu es chez toi ici, fais
comme chez toi". La
maison est belle, l'intérieur confortable. Les produits sont bio. C'est la fête
quoi. Tartines de charcuteries, plateau fromages, linzertarte aux myrtilles dont
il adore le croquant des croisillons ; le repas du soir est un régal. La
nuit qui suit, fait rarissime, file son train sans aucune insomnie. Alors qu’il
se réveille désormais à la ville, toutes les trois heures. Quand le chant du coq le
réveille, -tiens celui-là il l’avait oublié- il lui désobéit. Il paresse sous
l'édredon, version été à l'aube de l'automne. Puis il passe la journée
tranquille. Il se promène. Le chemin, les buissons, le parfum dees bosquets, les oiseaux,
le ruisseau ses libellules irisées : tout fourmille, chante, siffle, frétille, "couleure". Encore un régal
qui le surprend. Il n'a pris ni papier ni crayon ni clavier. Surtout ne rien
faire. Deux jours, trois jours il s’y plie. Mais au quatrième, ne rien faire soudain l'indispose. Il s'irrite, il s'énerve. Tant et si bien qu’il déjeune avec son
cousin et lui propose de lui apporter son aide. Son cousin s’étonne :
"Mais Fantz,
tu es venu ici pour te reposer, repose-toi."
"J'insiste cousin Hans, il faut que je me mette à
travailler"
"Je veux bien
mais ici je n’ai guère de dossier à te proposer en consultation » et il le regarde
quelques secondes silencieusement, puis il lui demande « que sais-tu faire Frantz ?"
La question le déstabilise. « Comment ça qu’est-ce que je
sais faire ? » il en balbutie « je sais... je sais... et finalement il répond par un
"Rien, je ne sais pas ce que je sais faire !" profondément dépité,
désemparé, effrayé"
"Je sais moi » lui répond Hans, « j’ai une petite idée, suis-moi, et
sois sans inquiétude, c'est facile"
Frantz traverse la cour, puisque son cousin Hans traverse la
cour.
Comme Cousin Hans disparaît dans une énorme grange Frantz pénètre à son tour dans l’énorme grange. Et ce qu’il voit l’étonne : sur
le sol de la grange sont étalées, au bas mot ou de visu, à peine moins et plus
sûrement, d'un quintal de pommes de terre.
" Ce soir Frantz, je
dois rentrer d'autres pommes de terre, il me faut faire de la place, ta décision est bienvenue, elle me sera
d’un grand secours, je dirai même qu'elle tombe bien, tu vas ranger ces pommes de
terre. C’est très facile, tu les ranges en trois catégories, d’un côté les
grosses, de l’autre, les moyennes, et enfin les petites, tu ne peux pas te
tromper, c’est à la portée d’un enfant du Kinder. Quant à moi, je pars
travailler aux Grands-Champs de l'autre côté de Gessen. Le temps est à la
pluie, les tubercules n'aiment pas ça. Allez cousin, à ce soir et courage"
Ceci dit, quelques instants plus tard, le moteur qui ronronne
annonce à Friedrich le départ de Hans.
Toute la journée, du côté des Grands-Champs, les pommes de terre
passent de la terre à la plate forme. Bientôt il est l’heure de rentrer chez soi. Hans prend le chemin de retour. Dès
qu’il arrive à la ferme Hans tourne la clef, saute de son tracteur et il
appelle Frantz son cousin juge :
« Frantz, où es-tu, Frantz où es-tu ?"
Devant le silence de Frantz qu’il ne voit pas dans la cour,
Hans entre dans la maison
« Frantz, je suis de retour, où es-tu, Frantz où es-tu, comment
vas-tu ?"
Frantz n'est pas dans la cour, il n'est pas dans le salon, il n'est pas dans sa chambre, Le cousin Hans pense qu'il a dû terminer son travail, qu'il est parti se promener et qu'il ne tardera pas à rentrer. En même temps il doit rentrer ses pommes de terre nouvellement recueillies. Il avance la plate forme et entre dans la grange pour voir le travail accompli. Il
stoppe net, bouche bée. Il a beau faire obscur, il comprend très vite qu'aucune
pomme de terre n'a bougé. Si le quintal est là, vierge ou iintouché d'une seule pomme de terre, son cousin n'y est pas. Où est-il passé. Par acquis de conscience, Hans balaie les lieux d'un regard à la recherche de Frantz. Il est inquiet. Que s'est-il passé ? Soudain il repère une masse informe
écroulée au pied du mur. Il se précipite.
" Frantz que t’es-t-il arrivé, qu’as-tu dis-moi, que s'est-il
passé, ou plutôt que ne s'est-il pas passé et pourquoi ?
"Frantz est appuyé mollement contre le mur, il a
tout de l'homme hébété, le menton mou et décroché. Il est effondré, catastrophé,
perplexe. Mieux, il semble sidéré. Il tient son poing droit fermé à plat sur sa
jambe droite.
" Frantz qu'as-tu, es-tu malade, es-tu blessé pourquoi ton
poing est-il fermé ?"
Frantz relève la main et le visage en sueur et la parole
balbutiante, il l’ouvre sous les yeux de son cousin Friedrich ahuri par la
question qu’il s’entend poser, " Frie Friedrich, ce cé cette pomme de
ter re, elle est… grosse, moyenne ou petite ?" !
Photos prises en 2008 par mon amie Martine, lors d'une séance contée du spectacle intitulé
#Coquine Patate à la frite et vous l'entendez bien à #Visseiche (35)
Cette histoire, je ne l'ai pas inventée, je l'ai librement adaptée d'après celle que vous pouvez trouver dans l'ouvrage intitulé #Le cercle des menteurs et écrite de Gessen en Allemagne où je ne suis plus.
http://bigoudnjongle.wordpress.com/ Je serai demain sur ce lieu et en compagnie d'autres amoureux de la parole, je conterai. Oreilles connues et inconnues, au plaisir de vous y croiser.
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