Etre seule, ce n'est pas facile, pense-t-elle
Elle ne parle pas d'être seule parce qu'elle ne serait pas mariée ou pas en couple ou pas pacsée ou sans travail ou sans activité : elle est rarement sans activité.
Etre seule, ce n'est pas facile. Au masculin elle ne sait pas ce qu'on devient, mais au féminin elle sait. "On devient une "mal b...ée" lui disait, à propos d'une Autre, un homme aux fonctions associatives très représentatives.
Etre seule ce n'est pas facile mais c'est possible.
On peut le devenir sans s'en rendre compte ; comme elle. Malgré son goût pour l'échange, le partage, le sourire, le lien. On peut le devenir parce que la vie, [non, pas la Vie, pas elle, la pauvre, elle n'y est pour rien. Libérons-là d'ailleurs celle-là de tout ce qu'on lui fait porter sur le dos] ou plutôt ses choix, oui, plutôt ses choix, l'ont peu à peu écartée d'une région, puis d'une autre, puis d'une autre, puis d'une autre et que dans ce nouvel endroit où elle a déposé ses valises, sans vouloir jouer la victime, on l'a écartée alors qu'à grands renforts d'audace elle avait pris contact ici et là et était entrée en lien. Entrer en lien : pas si facile. Et si peu facile que parfois les liens cassent.
Elle tient un dessin. La feuille ne cesse de faire des allers et retours et passe de sa main sous ses yeux. Qui pleurent. Qui lui a dit
"je déteste les femmes qui pleurent, je déteste tous ceux qui pleurent !"
Qui lui a dit
"je déteste ceux qui envien !"
Qui lui a dit "Ceux qui font des ateliers de poésie croient tous qu'ils deviendront poètes !"
Qui qui qui.... ? Elle ne veut plus savoir. Ce n'est plus le sujet.
Elle regarde le dessin et se souvient de l'enfant, adulte aujourd'hui, qui l'accompagnait dans ses tribulations titubantes et néanmoins non alcoolisées. Elle se rappelle comme elles avançaient, toutes deux sans famille, sans tuteur, sans appui. Elle avait tout identifié. Preuve en est ce dessin qu'avec son humour et sa vivacité elle avait créé, témoin de l'isolement de sa maman.
Douleur, ruminations, incompréhension, incapacité. Difficile. D'autant plus dur qu'elle ne comprenait pas qu'elle se désignait elle-même auprès de LEZÔTRES qui possédaient les codes à sa différence. Elle avait répondu positivement à leurs propositions. Puis soudain les choses se sont effondrées. Elle est devenue "un électron libre... et on n'aime pas les électrons libres !" lui déclara l'une parmi LEZÔTRES. A partir de là elle est devenue transparente. Elle tient bon, malgré tout ; allure tortue, lentement cheminante. Etonnée toujours quand elle entend des
"ZXY c'est vous ? J'entends parler de vous, pas plus tard qu'.... il y a enc ore....". Ces commentaires qu'on lui fait régulièrement, ne la rassurent pas.
Sur la chaise longue, elle médite. Elle s'interroge. Peut-on se défendre contre l'exclusion ? Peut-on se défendre de ce dont on n'a pas connaissance ou conscience ?
Ce jour c'est vrai, elle n'a pas trouvé de trèfle à quatre feuilles dans ses balconnières encore en jachères. Mais elle l'espère et décide avec force d'accorder du poids à un réseau underground qui lui fait confiance. Elle décide de mettre un terme à ses convictions politiques.
Les larmes reviennent, silencieuses et à grands flots. Rien ne semble vouloir les retenir. Tout un hiver en barrage. Pour trouver une autre peau, d'autres mots.
La voilà qui se lève. Pourquoi ? Pour où ?
Robert, quelque chose est passée devant la fenêtre, ce doit être ma serpillère, veux-tu bien descendre la chercher ?
La cuisinière du second se précipite. Etrange tout de même? pourquoi son mari crie-t-il aussi fort dans son portable ? Où est-elle sa serpillère ?
Les sirènes d'une ambulance s'y mettent.
Il se décale elle se penche davantage, leurs regards effarés se croisent devant le corps écartelé.
La porte d'entrée se referme. "Maman" crie l'enfant victorieusement. Puis laconique "Encore devant cette stupide série télévisée !"
"C'était seulement pour attendre la fin de la cuisson du marbré ma fille jolie"
"Wouahou ! un marbré................."
L'enfant file à la cuisine. Sa mère la suit. Elle lui sourit.
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