dimanche 7 août 2016

Conte régional Midi-Pyrénées "Las Nueits de Tolosa" ou "les nuits de Toulouse"

Dans l'Ariège il était une fois, parce qu'une fois suffit bien.

Deux garçons. L'un s'appelle Laurent, l'autre s'appelle Guillaumet. Ils habitaient un petit village accroché aux Pyrénées et appelé Les Bazerques d'Ax 


et ils avaient même parents. (photo prise par JP. Pomiès)

Vous venez de le deviner : ces deux gars sont frères. L'aîné s'appelle Laurent. Et c'est une crème : un brin tranquille, gentil comme tout, toujours prêt à rendre service on dit de lui "Oh le Laurent, une vraie crème ce petit gars !" Le second s'appelle Guillaumet, c'est le cadet et il n'a rien à voir avec l'aîné. Dès qu'il a su parler il a dit : "un jour je partirai et je ferai fortune" On disait de lui "c'est un casse cou, c'est un aventurier, il le dit, il le fera !"

Il l'a fait. Il n'a pas attendu longtemps. A quatorze ans, non je me trompe 13 ans et 9 mois il a dit "au revoir maman au revoir papa au revoir mon frère, je pars faire fortune !"
Trois voix en une seule ont dit "Et tu pars où ?" 
"Je pars à Toulouse pardi !"
Et oui, c'est connu dans le monde entier, c'est à Toulouse qu'on fait fortune.  
Ils n'ont plus eu qu'à le regarder partir besace sur le dos.

Pardi, ça a fait un vide dans le pays comme on dit ; c'est qu'il était pas méchant le Guillaumet, c'est seulement qu'il avait du tempérament et du coup, té, il prenait de la place.
Et le temps a passé.
Au village Laurent a continué à aider ses parents, à aider les voisins, les amis, à écrire parfois à son frère, lui envoyer parfois ces cocos blancs qui font le bon cassoulet, ceux de Tarbes précisément ;  et le temps a vraiment passé, il s'est marié, une gentille épouse, deux enfants, le choix du roi, un gars, une fille et puis....
Et puis il y a eu la maladie.
Un hiver, une fièvre à tout emporter et surtout, les parents, la femme, et les enfants. Le Laurent il était devenu veuf té pardi !

Il était triste Laurent. Les voisins s'occupaient bien de lui mais il était triste. Il était si triste que l'idée lui est prise d'écrire à son frère. Ce frère a bien compris que son Laurent était triste. Il l'a invité à venir à Toulouse. Et c'est ainsi que, oh pas tout de suite bien sûr, après bien des échanges épistolaires, un jour, chemin faisant dans la pensée, Laurent a ouvert la penderie. Il y avait son costume de mariage. Il l'a enfilé. Le velours lui serrait un peu aux entournures, veste ou pantalon, et autour du cou au-dessus de la chemise, le col blanc lui serrait de même et je crois que les souliers, ses souliers de marié lui serraient aussi. Mais pour aller à Toulouse, fallait faire ce qu'il fallait faire. Toulouse c'était la grande ville tout de même.

"Au-revoir Laurent alors voilà que tu t'en vas, voilà que tu nous quittes, et qu'allons-nous faire sans toi Laurent ?" lui disaient ceux du village, "tu vas nous manquer ! Et où vas-tu Petit ?"
En serrant des mains et en souriant il répondait 
"Je vais à Toulouse ! je vais rejoindre le Guillaumet !" Et tout le monde lui souhaitait bon voyage.

En ce temps-là, même à pied on voyageait. Laurent voyageait à pied.
Il a marché il est arrivé à Foix,  il a traversé la grande allée devant le château. Il a croisé quelqu'un. Tous deux ont levé leur béret. 
"Bonjour, je cherche mon frère, Guillaumet, vous le connaissez ?"
L'autre s'est étonné, et roulé de galets de Garonne en bouches,  il lui a demandé
"Et où il travaille votrrrrre frrrrrèrrrreuh ?"
Il s'est étonné de la réponse "A Toulouseuh ? Au Capitoleuh ? Ôh mon pauvretttt, mais Toulouse c'est pas ici !
Et Laurent de s'étonner à son tour
 "Comment ça Toulouseuh c'est pas ici ? Mais c'est où ici ?"
"Ici c'est Foix petit gars, tu reconnais pas le château, tu n'as jamais entendu parler de Gaston Phoebus ? !"
"A Foix  ? Et Toulouse alors c'est par où ?"
L'homme s'est tourné d'un quart et d'un grand bras tendu il a montré la direction  "C'est par là, tout droit"
Puis chacun a repris son chemin.

Et cette rencontre, elle s'est passée à Varilhes, elle s'es passée à Pamiers, à Saverdun, et là tout de même, le Laurent... il a pris peur. Depuis le temps qu'il marchait il n'y avait jamais pensé, mais là, il s'est retourné et il a regardé ses "petites", ses "préférées", entendez ses  Pyrénées. 
"Oh la la mes pitchounes, comme vous vous éloignez mes belles m, hé bé, c'est loin Toulouse, ah Pyrénées chéries, vous me manquez déjà." Et il s'est mis à chanter. Pour ne pas pleurer.

ça c'est passé aussi à Cintegabelle, au moment où les orgues fêtaient un mariage auquel tout le village participait ; 
ça c'est passé à Auterive, où laurent s'est encore retourné mes chéries"oh bon sang de bon sang mes toutes belles vous avez disparu,  je ne vous vois plus mes chéries !" Laurent à cet instant il retient autant qu'il peut son envie de pleurer. A vrai dire, un larme perle à son oeil droit ; 
et ça c'est passé à Toulouse. Après le Pont Neuf, Laurent a salué quelqu'un dont la réponse l'a inquiété "Coment ça on n'est toujours pas à Toulouse ici ?"
"Si, rassurez-vous, vous êtes à Toulouse, et je vous souhaite la bienvenue, mais là où nous nous tenons, ce n'est pas la place  du Capitole, c'est la place Esquirol. Si vous voulez retrouver votre frère place du Capitole, il vous suffit de faire quelques pas en arrière et de prendre la première rue sur votre droite, c'est la rue St Rome, elle est un peu commerçante mais l'heure est à la fermeture, descendez tout dret et au bout, vous découvrirez la Place du Capitole"

Laurent n'attend pas, "au-revoir monsieur" et s'il descend la rue St Rome à tout allure du style "je vais revoir mon frère, je vais revoir mon frère" tout au bout de la rue, il s'arrêt net ! 
"Oh comme elle est belle cette place", et en tournant le regard, il s'esbaudit davantage sur le long bâtiment qui court sur sa droite 



"oh la la la mais on croirait la mairie des Bazerques !" Et il s'avance au milieu de la place. Et il se dirige jusqu'au trottoir à l'angle de la rue de Rémuzat* et il se tient debout et il se dit et se répète "oh comme elle est belle cette place !" et alors qu'il se demande s'il va trouver son frère, quelqu'un lui met une main sur l'épaule. Il s'est retourné. C'était un inconnu. mais l'inconnu s'est esclaffé comme s'il se moquait de son air perplexe
"Ben alors Laurent, tu ne reconnais pas ton frère Guillaumet !"

La surprise ! 
"Comme tu as changé Guillaumet, on croirait un monsieur, té, on croirait le notaire d'Ax !" 

"Qu'est-ce que tu racontes Laurent, allons allons, je suis ton frère, tout simplement, allez viens, entre" !"

Encore une vraie surprise. "Oh la là c'est que tu as un beau café Guillaumet ! les banquettes rouges et les miroirs"
"ça va Laurent, je me défends bien mais ça n'a pas été facile tu sais, avant j'ai mais tiens assieds-toi, tu as sûrement envie de boire qu'est-ce que je te sers ? Tu dois avoir la pépie ! Attend, on m'appelle !"

Guillaumet s'est levé comme un ressort. quand il est revenu il était accompagné. "Je te présente ma femme, Laurent ! Elle s'appelle Clémence !"

La surprise de sa vie au Laurent, une femme comme il n'en existait pas une seule aux Bazerques, une femme de notaire ou de docteur comme à Ax! Laurent s'est levé, timide et si timide qu'il a demandé où était le coin pour... et pendant ce temps la femme de Guillaumet elle a froncé les sourcils et elle a dit "C'est ton frère, on dirait un paysan et tu as vu ses vêtements comme ils sont anciens, je te le dis Guillaumet, il ne doit pas rester chez nous, il va nous faire perdre notre clientèle !"

Guillaumet n'a rien dit. Quand son frère est revenu le repas était prêt, ils ont mangé, échangé des souvenirs, Guillaumet a demandé des nouvelles du Baptiste, du Tonin, de la Marguerite et de la grand-mère Jeanne qui tricotait si bien sur le pas de sa porte l'été . Mais après la prune, Guillaumet a emmené Laurent sous les combles au troisième étage, dans un tout petit cagibi où il n'y avait qu'un lit en fer, une sorte de table de nuit et en guise de chaise un prie-dieu. Il a dit "Surtout Laurent, ne fait aucun bruit, la clientèle n'aime pas être dérangée. Repose-toi surtout, demain matin c'est moi qui viendrais te réveiller, surtout ne bouge pas !"



Il a refermé la porte et il a descendu les escaliers.
Laurent s'est déshabillé et il s'est couché. Il avait de quoi rattraper question fatigue.
Mais au milieu de la nuit il s'est réveillé. on n'entendait pas un seul bruit. Il faisait noir noir noir. Il a un peu réfléchi, il s'est rappelé son voyage, sa traversée, puis il s'est recouché et rendormi. Mais au bout d'un temps il s'est encore réveillé. ça devait être l'heure de se lever. Pourtant personne ne bougeait. C'était le silence. Il a eu comme une crainte. Il a pensé "hé bé, qu'est-ce qu'elle est longue la nuit toulousaine" pour la raccourcir, il s'est mis à dire une prière. D'ordinaire il la disait toujours à l'envers. Etait-ce la crainte, voilà qu'il la disait à l'endroit. "Ah ma pauvre mère," des heures... elle avait passé avec lui à essayer de lui faire retenir les mots, "toi qui a eu tant de mal à me l'apprendre tu serais contente ce soir de me l'entendre dire, n'est-ce pas !"  et il a levé le regard au plafond. Tout ce noir, c'était étrange, la nuit devait être finie maintenant. "En tout cas si elle n'est pas finie elle est bien longue la nuit toulousaine !" Comme il s'ennuyait et qu'il se remettait à bailler, il s'est allongé et endormi. Combien de temps ? De nouveau réveillé, debout, il a presque pris peur, il n'avait plus qu'une seule envie, sortir, retrouver le jour. Vraiment comme elle est longue la nuit toulousaine ! Il a cherché sur le mur, il a tâtonné, il a fait glisser ses mains à plat pour ne rien manquer,  une fenêtre, sa poignée, une éclaircie, un interstice. Rien, net ! Les bras lui tombent "Hé bé elles sont bien longues ici les nuits toulousaines !"  Il n'y avait rien d'autre à faire qu'à se rendormir. Le Laurent s'est rendormi.

Et il s'est redressé comme un ressort quand il a entendu frapper et reconnu la voix de son frère "Alors Laurent, tu as bien dormi, dépêche-toi, on va descendre, tu vas déjeuner, mais tu as l'air bizarre Laurent, qu'est-ce que tu as ?"
"Ce que j'ai ? C'est que...  Dis-moi Guillaumet, elles sont bien longues les nuits de Toulouse dis-donc !"
"Comment ça elles sont bien longues, elles sont aussi longues que les nuits des Bazerques !" Et en même temps il se marre en pensant que Laurent vient de dormir deux nuits et un jour d'affilée dans un cabinet qu'il savait hermétique au possible. 
"Allez, dépêche-toi, descendons, tu vas déjeuner, que veux-tu des chocolatines ou du pain aillé ? Quand tu auras fini je te montrerai le Bazacle, La Grave, le marché Arnaud-Bernard, la tour du Capitole, le Grand Rond, les Amidonniers, tu verras comme c'est beau Toulouse !
Allez va, tu dois avoir faim avec tous ces kilomètres dans les jambes... mais qu'est-ce que tu as Laurent, pourquoi  tu me regardes comme ça, qu'est-ce qui te prend ?" 
"Il me prend Guillaumet que je ne vais pas visiter Toulouse, que je ne vais pas rester ici, que je vais partir, te remercier pour le café, pour les chocolatines et le pain frais, mais oui, non non je ne vais pas rester, au revoir mon frère, je m'en retourne aux Bazerques"
"Mais pourquoi  Laurent ? Tu viens d'arriver, il y a si longtemps que je ne t'ai pas vu !"
"C'est vrai, si longtemps, mais ici les nuits sont beaucoup trop longues mon frère, un vrai supplice ces nuits de Toulouse,  elles n'en finissent jamais, elles durent bien trop longtemps Guillaumet, je ne les supporterai pas, pas même une nouvelle ! Un supplice vrai de vrai mon frère ! Adiciats"

Et de sortir de l'établissement, de débouler sans demander son reste sur la place du Capitole, 

de la traverser en diagonale, de remonter la rue st Rome où déjà 

les capelhou se promènent parce que 

bien avant midi  le soleil tape dru


  sous les yeux de belles dames


 qui le suivent du regard 


  mais qu'il ne remarque guère
Laurent veut seulement rentrer aux Bazerques, rentrer aux Bazerques. Au revoir la place Esquirol, au revoir l'hôtel d'Assézat, Au revoir Clémence Izaure pour marcher il marche le Laurent, et de passer le Pont des Catalans, moins vieux que le Pont-Neuf, le plus vieux des ponts toulousains.

et d'avancer, d'avancer et de marcher le pas ferme, en s'interrogeant  "ah mes Bazerques où êtes-vous, vous reverrais-je ? Au revoir Auterive, le voilà à la tombée de la nuit arrivé à Cintegabelle. A la première auberge éclairée, "L'auberge du Jauspin" il pousse la porte. Quelques hommes sont au comptoir, dans un coin quatre autres jouent aux cartes et demandent "Alors Lionel c'est d'accord tu ne veux pas jouer au Trompe-Couillon avec nous ?" 
Un homme de fort mauvaise humeur et cheveux blancs leur répond que non, il ne veut pas, il l'a dit, il le répète. Laurent s'approche, le salue et lui dit "Je prendrais bien une chambre mais avant je veux savoir ..." 
"Demandez-moi, si je peux vous dire je vous dirai !"
"Hé bé voilà Aubergiste, je veux savoir si les nuits de Cintegabelle sont aussi longues que les nuits de Toulouse ?" Devant une question aussi saugrenue, le Lionel retrouve le sourire et répond 
"Bien sûr mon ami, nuits de Tolosa, nuits de Cintegabelle, sont également longues, comment pourrait-il en être autrement ?"
"Alors excusez-moi, je ne dormirai pas ici ce soir" Et jetant un  "bonsoir messieurs" à la cantonade le Laurent disparaît aussi vite qu'il était entré, laissant là quatre hommes répétant autant qu'ils peuvent  car mourants de rire 
"Dites l'aubergiste, elles sont aussi longues qu'à Toulouse les nuits de Cintegabelle ?"

Et de marcher de marcher et de parvenir à Saverdun. Et de s'arrêter à la première auberge et d'interroger l'aubergiste qui lit un journal
"Bonsoir Monsieur l'aubergiste, dites-moi les nuits de Saverdun sont-elles aussi longues que les nuits de Toulouse ?"
La réponse fuse, identique à celle de Cintegabelle et Laurent de dire "Alors excusez-moi, je ne vais pas dormir ici ce soir, bonsoir messieurs" et il quitte l'établissement laissant l'aubergiste tout étonné.

Et de marcher de marcher, et de parvenir à Pamiers, ciel bleu couleur watterman,  étoilé au possible, étoiles filantes ici et là. C' est au moins le 12 d'août.
Et d'entrer dans la première auberge allumée de Pamiers. Et de s'entendre dire "Vous avez de la chance j'allais fermer"
Mais de demander  "Je voudrais bien dormir aubergiste, mais avant il me faut vous poser une question !"
"Posez-la, posez-la mon ami votre question"
"Alors voilà, est-ce que les nuits de Pamiers sont aussi longues que les nuits de Toulouse ?  "
"Bien sûr que oui, mon ami, elles sont aussi longue les unes que les autres, cependant cette-nuit-ci risque d'être plus courte vu l'heure qu'il est !"
"Plus courte, parfait, alors donnez-moi une chambre s'il vous plaît, mais n'oubliez pas de venir me réveiller à six heure et demie, c'est l'heure à laquelle je me réveille"
"Entendu mon ami. Suivez-moi" -ils montent des escaliers, un seul étage, et la chambre est grande et il y a une fenêtre- "Bonne nuit. A tout à l'heure" Laurent, doublement rassuré, plonge dans un sommeil réparateur.

Dehors, quelques roses effilochées annonçent l'aube. Forcément quand l'aubergiste vient frapper à la porte du Laurent celui-ci a du mal à ouvrir les yeux. Quand l'aubergiste a dit "C'est l'heure !"  Laurent ronchonne "Quel drôle de pays tout de même ici, alors à Toulouse les nuits n'en finissent jamais et ici elles ont à peine commencé qu'elles sont déjà terminées !" 
Il s'habille et sans même prendre le temps de déjeuner "les oeufs sont du jour mon ami et la confiture de rhubarbe elle est maison c'est ma femme qui l'a faite, comme le pain d'ailleurs !" Laurent ne veut rien savoir
"Vite mes Bazerques que je vous retrouve, au revoir Monsieur l'aubergiste, merci"

Laurent ne marche plus, il court, si bien qu'au détour d'un virage, quelques heures plus tard, quand il aperçoit le clocher des Bazerques c'est tout juste s'il ne défaille pas

Et quand il croise le Baptiste et que celui-ci heureux de son retour le salue et lui donne l'accolade "te voilà de retour Pitchou ?" Laurent ne retient pas son plaisir : il défaille. Puis il  joint les mains sur sa poitrine et il dit en regardant le clocher 
"Ah mes Bazerques mes Bazerques, 
petit rien qui vaut tant 
tu vaux mieux que rien !"


@Lania - 6 août 2016 - inspiré de Les Nuits de Toulouse - Contes ariégeois.


* Aujourd'hui à cet endroit on y boit encore, on peut y déguster des Cam Ryfleu et il pourrait bien y avoir un long bouffon tout habillé de jaune et de rouge. Bref un Mc ???

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