vendredi 24 avril 2015

Vendredi 24 avril, Saint Fidèle, une histoire de mois de juin, du côté de Plougastel-Daoulas

Il était une fois

Du temps où, en Bretagne, existait la fête de la Terre, (propre), du côté de Plougastel, tout près du Calvaire_de_Plougastel-Daoulas (qui en breton s'appelle Kalvar Plougastell-Daoulaz ou Kroaz ar vossen, soit littéralement "croix de la peste").

Du temps où, sous un soleil de plomb à faire dorer les blés d'un seul rayon, 
Du temps où, comme l'écrit le conteur Yves Pinguilly  dans Contes et légendes de Bretagnes "le seigle dans les champs était une chevelure de fée" 
Du temps où, sous un soleil de plomb à faire dorer les blés d'un seul rayon, tout le monde attendait, tout en chantant, dansant, jonglant, buvant et dégustant, cidre doux et bouillie d'avoine
Du temps où arrivait enfin, la tant attendue, la plus âgée des vieilles et son miroir.

Tout le monde sauf, une année, Yeun et Maïwenn.
Cette année-là ils ne pouvaient échapper  à l'évènement. Cette année-là ils devaient être présents à la fête. Cette année-là ils avaient l'âge. 13 ans. Et main dans la main ils espéraient que la danse des pileurs d'ajonc, le piler-lan, ne s'arrête jamais. Les yeux fermés, serrant leurs doigts ils murmuraient "ne t'arrête pas piler-lan, ne t'arrête pas !"  Mais parfois la pensée magique ne suffit pas : le piler-lan s'arrêta.

La vieille s'avança et posa le miroir sur le sol. Autour d'elle les enfants formèrent la ronde.
Yeun tenait la main de Maïwenn, Maiwenn tenait la main de Yeun. Et ces deux mains semblaient chacune vouloir dire à l'autre "je ne te quitterai pas, je ne te quitterai pas, nous nous appartenons". 

Parce que cette danse lecteur le sais-tu, parce que cette danse lectrice le sais-tu, permettait de destiner les enfants l'un à l'autre, et ceux que le sort avait désigné l'un pour l'une et l'une pour l'autre, ceux-là étaient mariés dans l'année. Et Yeun et Maïwenn s'aimaient d'amour vrai et tant qu'ils ne voulaient pas être séparés. 

Mais le bagad s'est mis à jouer une gavotte en rond.



Et les enfants se sont mis à tourner, lentement et la vieille en vêtements noirs et coiffe blanche crochetée, quelques pauvres derniers cheveux s'en échappant, elle a appuyé sur le miroir et le miroir a tourné. 
"Pas sur elle " pense Yeun  très fort
"pas sur lui " pense Maïwenn fortement
Ni lui ni elle. Quand la musique s'est arrêtée le miroir a révélé le visage de Soisig. 
"pas sur lui " "pas sur lui " pense Maïwenn fortement
Ni lui, ni elle. Quand la musique s'est arrêtée le miroir a destiné Yohann a la mignonne Soizig.

et ainsi de suite, les enfants tournent lentement, sur la gavotte lente et l'un est destiné à l'une et l'une à l'autre. Bientôt chacun a sa chacune. Mais catastrophe : le miroir n'a pas désigné Yeun pour Maîwenn ni Maîwenn pour Yeun.
Mïîwenn, ça ne se peut pas, je t'aime trop
Yeun, c'est impossible, c'est auprès de toi que je veux vivre

Ces deux-là n'étaient pas du genre moutons. ils firent semblant de se ranger au choix du miroir mais en réalité, en quelques phrases tous deux se sont jurés de se retrouver à la nuit, sur la lande à la pointe des Espagnols
 au-delà du lavoir dit Yeun, dès minuit.

Et la fête s'est terminée dans l'espoir d'un départ vers l'Irlande verte ou le chaud Maroc. Pourquoi pas ? Pourquoi pas ?


Il avait dit au-delà du lavoir, dès minuit. Maïwenn s'y trouva bien avant. Peu rassurée, il y avait bien pleine lune, mais aussi un peu de vent.  Alors les ombres l'effrayaient. Cependant rien ne l'aurait arrêté dans son désir de retrouver Yeun. Mais où était-il , Pourquoi avait-il du retard ? Est-ce parce qu'elle était préoccupée qu'elle est tombée ? Toujours est-il qu'elle s'est écorchée jambes et genoux et qu'elle n'a pas vu qu'elle perdait son mouchoir blanc. Cependant en continuant sa route elle a entendu parler. A qui appartenaient-elles ces voix ? Un rocher se présentait : elle s'est cachée derrière. Elle ne bougeait plus. Elle s'accrochait à un tout petit paquet de vêtements, les rares qu'elle avait pu prendre, dont un petit justin blanc auquel elle tenait parce que c'était sa mère qui le lui avait fait.

Alors qu'elle s'interroge : où est-il mon Yeun, pourvu qu'il ne lui soit rien arrivé, Yeun qui a du se retarder pour des paroles que lui disait sa mère, Yeun remonte le chemin en direction du lavoir. Avec ses sabots il tente de faire aussi peu de bruit que possible.  Il le passe et c'est un peu plus haut sur le chemin que son regard est attiré par une tache blanche au sol. Il se penche. Il reconnaît le mouchoir blanc aux bordures noires et l'entrelacs de majuscules au nom de Maîwenn. M L B. Maïwenn Le Bihan. il reconnaît le mouchoir et il remarque des taches rouges sur le ruban et noires et humides sur un caillou. "Du sang" pense-t-il. Et à ce moment-là il entend parler. Il tourne la tête du côté de la mer. Il découvre un galion que nombre de voiles blanches éloignent de la côte. Il remarque le drapeau. C'est un drapeau espagnol. Son sang ne fait qu'un tour. Maîwenn a été attaquée par des pirates et ils l'emportent. Yen gémit. Il ne reverra plus Maïwenn. Pour les défendre tous deux, il a pris un canif que le père de son père, son grand-père lui a offert. Il n'hésite pas.

Là bas, passé le lavoir, non loin de la pointe des Espagnols, Maïwenn s'inquiète. Elle décide de faire le chemin à l'envers. Cours Maïwenn, cours, soudain, elle trébuche et en s'étalant sur le sol ses mains touchent, on dirait un... un corps. Elle se relève et retient son cri en reconnaissant la chemise à carreaux bleus et blancs. C'est Yeun ! C'est Yeun !....... Elles s'effondre sur le corps de celui qu'elle aime, sur son amant. Il a encore les yeux ouvert. Il la regarde et tourne la tête vers la mer. Dans sa main elle aperçoit le mouchoir, elle comprend ce ui vient de se passer. Yeun a cru.... Jamais plus plus Yeun ne respirera. Elle ne lui sera pas infidèle. Elle saisit le canif et fait ce qu'elle croit devoir faire. Elle se perce le corps et le coeur

Comme l'écrit le conteur, 
"Ainsi  périrent les deux jeunes amants
dans l'été de leur treize ans"

La nature était-elle en phase avec ces deux-là ? Voilà qu'elle souffle un vent de noroît violent : il se penche sur les deux sangs les mêle-emmêle et va les répandre sur les champs de Plougastel, champs de fraisiers aux fruits blancs, en ce temps-là. Quelques jours plus tard, les paysans ramassant les fraises ont la surprise de leur vie : les fraises blanches étaient rouges, rouges des sangs de Yeun et Maïwenn réunis.





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