jeudi 2 avril 2015

2 avril 2015 vous avez dit ajoncs et genêts. Bouteille à la mer pour partage.

Lania lance une bouteille à la mer

Lors d'un co-voiturage quelqu'un a parlé d'une sorte de proverbe établissant sous une forme ludique  la différence entre les ajoncs et les genêts si chers à la Bretagne.

Qui en aurait connaissance ?
Qui la passerait à  la postérité de nouveau ?

Conte


Il était une fois, au temps où Bretagne était seulement verte, surtout  en printemps.
Aux abords de la forêt de Brocéliande un château. Son roi.  Le roi Hardor.
Sa femme. La délicieuse reine Guénola. Et son fils. Le charmant Tanguy.


Roi, le monarque protège ses sujets des envahisseurs. Ses troupes font toujours reculer les assaillants. Le peuple et les moissons sont sauvé-e-s. Les sujets aiment le roi Hardor.
Homme, le roi est avare et courbe ses sujets sous le poids des impôts à chacun des solstices, automne-hiver, printemp-été. Malheureux, les plus pauvres demandent secours à la reine. Qui accède à leur souhait. Les sujets aiment beaucoup leur reine.
Le roi se rend régulièrement dans la forêt de Brocéliande. Dans une caverne connue de lui seul. Il  plonge ses mains dans l'argent entreposé et il les relève à la hauteur de son visage. Les  yeux fermés,  il entrouvre ses doigts et s'enivre à l'écoute de la jolie musique que tintinnabullent les pièces en retombant.


Au cours d'un hiver froid et longuement neigeux, malgré manteau,  couverture d'hermine et feux de cheminée en troncs de chênes entiers, la reine tombe malade. Potions, tisanes, cachets, onguents, rien n'y fait. Guénola s'éteint.
La douce reine Guénola n'est plus : le peuple plonge dans la tristesse. 
Le roi aimait tendrement sa reine Guénola. Il plonge à son tour. Et dans la caverne où il va chercher le réconfort, rien n'y fait. Ni la vue, ni l'ouïe. Le roi se désole. Sa douleur est si grave qu'il en oublie celle de son fils Tanguy. Celui-ci a perdu sa mère tout de même.


Le maître palefrenier s'attache à l'enfant. Il lui enseigne l'art de la cavalerie davantage que d'ordinaire et le jeune Tanguy parfait sa maîtrise de jour en jour. Si bien qu'un autre jour, loin du château
au fin fond de la propriété du roi il lance son cheval par-dessus la muraille. Cheval et cavalier font ensemble un saut magnifique. Tanguy parcourt la campagne dans l'ivresse de la liberté autant que dans celle de la douleur. Il parcourt tant et tant qu'il s'éloigne des lieux, qu'il ne voit bientôt plus ceux de son enfance, qu'il parvient bientôt auprès d'une petite demeure sans prétention. Il ne le sait pas encore, c'est la demeure d'un pêcheur. Tanguy laisse son cheval au repos dans un grand pré et s'avance, attiré par un martèlement inconnu. Il passe derrière la chaumière et découvre une rivière et sur le bord de la rivière, auprès d'une barque que visiblement il répare,  un enfant d'à peine 9 ou 10 ans.
Tac tac tac tactac tac tac tac tactac c'est comme une musique
  • Bonjour que fais-tu ?
  • tu le vois, je calfate les planches de la barque de mon père pour aller à la pêche, je plissonne, je moutonne
  • Tu es bien trop jeune pour faire cela
  • Je sais mais mon père pêcheur est malade
  • Pourquoi est-il malade ?
  • Parce qu'il a trop travaillé pour les impôts du roi Hardor. Je dois le remplacer, je n'ai pas le choix. Ce roi est si dur avec ses sujets.


Tanguy n'a jamais entendu parler de son père ainsi. Il souffre mais il tait son étonnement et sa souffrance.  Il regarde les mains de l'enfant, il regarde ses propres mains. Comme elles sont différentes. 

  • "Je peux t'aider, je peux travailler avec toi, que puis-je faire ?"

L'enfant dévisage Tanguy de la tête au pied. Son regard s'attarde, à son tour, sur les mains du jeune homme. 

  • "Tu n'as pas l'habitude de travailler à ce que je vois, mais je veux bien que tu t'occupes à ranger les filets" 

L'enfant reprend polissage, calfatage et moutonnage tac tac tac tictac tac. A ce rythme Tanguy finit par mettre tous les filets dans la barque. L'enfant s'arrête.


  • Barque à l'eau Tanguy !
  • Avec plaisir Yeun.

Et la barque file vers l'embouchure, vers la mer. Et adieu l'aber, lançons les filets, les enfants les ramènent, la pêche est bonne. Ils chantent La Danaé. Mais soudain Yeun cesse de chanter. 


  • Pourquoi ne chantes-tu plus Yeun ?
  • Il nous faut rentrer, vois les nuages à l'horizon comme ils sont gonflés, noirs et gris violet ; d'ici peu la barque dansera sur le haut des vagues et nous serons en danger, ramons...
Rame rame ramons ramez, trop tard, foncent les nuages et tombe la pluie, les vagues chahutent la barque de plus en plus fort. Tanguy retient ses cris puis il ne les retient plus et ferme les yeux. Quand la tempête cesse, sur la mer calmée, il n'y a plus trace de barque. 

Dans le château du roi Hardor le maître-palefrenier attend le retour de Tanguy. Quelques jours plus tard le roi, tout à son propre chagrin, découvre la disparition de son fils. Il fait partir des cavaliers à sa recherche de tous côtés. Et c'est ainsi que quatre d'entre eux découvrent le cheval dans le pré, la chaumière et le pêcheur, malade et plein d'inquiétude, affaibli à l'idée de ne plus revoir son fils. Deux cavaliers restent auprès du pêcheur, deux autres partent à la recherche des deux enfants.  Ils doivent bien se l'avouer, personne n'a ni vu, ni revu, ni entendu de nouvelles à propos des deux petits pêcheurs. la résignation est de mise. Mais si deux soldats retournent au château, deux autres restent auprès du cheval. Et si Tanguy revenait ?


Le roi Hardor est hébété. Après la disparition de sa douce Guénola, il ne reverra plus jamais son fils Tanguy. En compagnie du sénéchal,  il cavale vers la caverne pour soigner son chagrin, mais il est incapable d'y pénétrer. Assis sur un rocher, il pleure. Parfois c'est en errant qu'il pleure. Bientôt c'est dans les couloirs du château qu'il pleure en déambulant. 

Tout le monde s'afflige de le voir ainsi affligé.

"Comment que dites-vous il faut récolter les impôts, je me moque de récolter les impôts ! Je ne veux plus entendre parler de trésor ou d'écus, me voilà pauvre devenu , mon fils a disparu !" Et le roi pleure.

Devant tant de souffrance le sénéchal ose lui propose de retourner dans la forêt de Brocéliande.
  • "Pourquoi donc ?" 
"Pour rencontrer la Fée Viviane"
  • "La Fée Viviane ? Pourquoi faire ?" 
  • "Monseigneur, la Fée Viviane a des pouvoirs. Elle sait tout sur tout Monseigneur, Merlin l'enchanteur lui a confié tous les siens. Je vous en prie, cessez de pleurer, allons à sa rencontre, elle saura vous dire où se trouve votre fils Tanguy, allons-y, partons" 

Ils sont partis. Ils ont, dit-on, entendu les cris et vu les enfants des charbonniers jouer  à l'orée de la forêt. Ils ont rencontré leurs parents charbonniers comme ils surveillaient le brûlage du bois qui donne le charbon. Ils ont vu les biches, faons et cerfs au profond de la forêt. Ils ont entendu les sangliers traverser les halliers, ils se sont approchés du plus profond du plus profond de la forêt.


  • "J'ai soif !" a dit le roi 
  • "Nous nous approchons d'une fontaine Monseigneur vous pourrez vous y désaltérer" 
Sitôt les mots prononcés la fontaine est apparue et le roi s'est précipité.
  • "La nuit vient, il fait froid Monseigneur, je vous prépare un feu"

Le feu allumé, le roi désaltéré, les deux hommes, éclairés par les flammes, sursautent : une branche vient de bouger. Les feuilles frémissent. 

  • "Bonsoir Viviane" 
A ces mots du sénéchal levant la tête, le roi lève la tête à son tour. Il s'étonne -la fatigue donne-t-elle des hallucinations au sénéchal ?- sur la branche qu'il regarde se tient une chouette. 

Qui se jette soudain dans les flammes. 
Le roi recule. 
  • "Vous allez rencontrer Viviane, mon roi".

Le roi perd ses mots. Viviane se tient devant lui toute habillée de blanc, belle et souriante.

"Bonsoir Roi Hardor, tu as besoin de moi m'a-t-on dit ?"

Le roi Hardor est abasourdi. Il se met à genoux. La fée Viviane lui tend la main "Relève-toi roi Hardor et dis-moi"

Elle écoute la voix qui tremble. Elle entend la douleur des yeux qui pleurent. Bienveillante, elle sourit. 

Quand elle plonge de nouveau dans les flammes, quand elle repose, chouette devenue, sur la branche du grand chêne, le roi et le sénéchal la saluent une dernière fois.
  • "Bonsoir Fée Viviane"
Peu de temps plus tard, deux cavaliers foncent à bride abattue vers le château. Le roi a retrouvé force et énergie. Il ordonne. Partout les hommes courent et se croisent aux travers du château et de la campagne. Bientôt, quarante quatre charrettes, chacune tirées par quatre boeufs, et portant toutes un grand nombre de tonneaux vides, prennent la direction de la forêt de Brocéliande. Dans la caverne c'est une ronde incessante et une musique sans pause : les hommes remplissent tonneau sur tonneau de l'or et de l'argent entassés par Hardor 'homme avare". A la nuit, plus un seul tonneau n'est vide. Le convoi s'ébranle lourdement et prend la route ; trois vaisseaux attendent son arrivée dans le port du Conquet






Quel fameux convoi ! Toutes les mémoires se souviennent encore d'avoir fermé les portes ou les volets sur son passage : pourquoi notre terre tremble-t-elle ? Qui passe ici devant ! Où vont toutes ces charrettes ! Et les signes de croix se multiplient. Non, on n'écrira pas son nom. Encore aujourd'hui, il pourrait.....

La fée Viviane a dit " Quand les trois bateaux seront pleins de toute la cargaison d'or et d'argent que tu auras donné au roi des Mers, monte sur le bateau du milieu et ordonnes aux équipages des trois vaisseaux de basculer par dessus bord la cargaison de tous les tonneaux. Sauf le dernier. Celui-ci tu le lanceras toi-même par delà le bastingage. Après, laisse faire et réjouis-toi : tu seras à deux pas de retrouver ton fils Tanguy"

Tout se passe ainsi. Et au dernier tonneau lancé par le roi Hardor en personne, une vague gigantesque s'élance vers l'horizon et vient s'écraser sur une île à l'instant même où Yeun et Tanguy prennent place dans la barque remise à flots et détruite lors de leur pêche merveilleuse. La vague les emporte et les entraîne jusqu'à l'entrée de l'aber, jusque devant la petite chaumière et sous les yeux d'un des deux soldats chargés de les attendre. Tanguy retrouve son cheval. Yeun s'accroche à Tanguy et, cavale cavale cheval, bientôt dans le château, sous les hennissements du cheval du jeune prince, couvert de sueur,  le roi Hardor reçoit son fis Tanguy et le jeune Yeun dans ses bras. 

Comme on fait en Bretagne encore aujourd'hui, bientôt le mez ou  le couchant*je veux écrire chouchen et non "couchant" bière de robot ! (et je veux écrire "bigre" au lieu de bière ! bigre de bigre de tonnerre de Brest c'est pire que tout maintenant avec l'écriture corrigée) le cidre coulent à flots, déjà les galettes-saucisses abondent, (c'est un conte, c'est moi qui décide pour les puristes) les cornemuseux, les musiciens jouent et les filles et les gars, Yeun comme Tanguy, Enora comme  Guenola ou Rozenn, échangent et dansent dans la lueur des torches éparses rires et joies.

Le roi, tout sourire, s'éloigne vers un grand chêne qui se dresse non loin d'un rempart du château. Le sénéchal a fait un feu. 
  • "Bonsoir roi Hardor". 
Le roi lève les yeux. La chouette ouvre ses ailes et saute dans le feu. 
  • "Bonsoir Fée Viviane"
  • "Roi Hardor,je suis heureuse  de voir ton sourire. Ne t'étonne pas de ma présence. Tu t'es séparé de ce qui t'étais, croyais-tu, le plus cher au monde. Le roi des Mers tient à te remercier du cadeau que tu lui as fait. Désormais, tout l'or que tu lui as offert pour retrouver ton fils Tanguy se déposera chaque printemps sur les tiges des genêts et d'ajoncs : ainsi ta Bretagne sera-t-elle toute d'or, en cette délicieuse et merveilleuse saison de Nantes à Brest, de Rennes à Douarnenez"

Et pour une fois, le conte est vrai.

Comme la photo de Serge Palaric, un ami photographe rennais.













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