vendredi 14 novembre 2008

Celui qui partit à sa recherche


"Je suis né de l’union d'un homme et d'une femme"
C’est ce qu’il disait. Parfois, quelques fois, de plus en plus souvent
Aussitôt dit cela il précisait
Ils n'avaient pas d’enfant
et poursuivait
Mais à l'âge de vingt ans leur fils s'engagea à l'armée où il se plaisait
Au cours d’une bataille il perdit bras et jambe
Alors il 'enfuit s'enfuit s'enfuit
Et comme il n'y avait pas d'arbre il monta sur un épicéa
Il y cueillit deux fraises,
Tendit une pêche à deux femmes qui passaient par là
Elles répondirent qu'elles n'avaient jamais mangé de châtaignes aussi bonnes que ces noisettes l'étaient.

Autour de lui on s’inquiétait de l'entendre marmonner.

Et il y avait de quoi, il ne faisait rien comme tout le monde.

Il avait très tôt appris à lire et il lisait sans cesse, il s'enivrait à lire le Grand Livre des Evidences, et seulement le Grand Livre des Evidences.

Chaque jour il se rendait à la bibliothèque et il y lisait le Grand Livre des Evidences. Seul. Car ceux du village fréquentaient l'établissement uniquement après leurs travaux aux champs ou après leurs travaux dans leurs ateliers.


Et quand à la fin de la journée, tous ceux du village prenaient le chemin de la Grande Bibliothèque, pour lire à leur tour le Grand Livre des Evidences c'était pour en disséquer le moindre mot, la moindre tournure, afin d’en discuter entre eux. Mais Lui, il s'esquivait avant même qu'il puisse les croiser.


Ils le trouvaient très étrange. Ils se demandaient pourquoi il les évitaient ainsi. Et certains répétaient "Il n'y a pas à dire Faïvel nous évite, mais pourquoi donc !" Personne ne comprenait pourquoi.


Etonnamment Faïvel continuait d’apprendre dans la solitude et sans confrontation aucune, il avalait
mots, verbes, phrase, périphrase, paragraphe, chapitre, résumé
puis reprenait,
mot, verbe, phrase, périphrase, paragraphe, chapitre, résumé
recommençait
mot, verbe, phrase, périphrase, paragraphe, chapitre, résumé
et poursuivait à s'arrêter sur la position d’une virgule : n'aurait pas mieux valu qu'elle fût là plutôt qu'ici ? Il allait ainsi, d'interrogation en interrogation.


Au fur et à mesure de ses découvertes, Il arriva un jour une chose surprenante. Impossible de retrouver un mot. Bref, un oubli. Mieux, ou pire, deux oublis. Catastrophiques d'autres oublis successifs. Faïvel prit peur. De perdre la mémoire. Tout ce qu’Il avait engrangé allait partir, s'envoler, s'évanouir. Inquiet Il commença à tout noter et un soir avant de se coucher Il alla jusqu'à noter l'endroit où il posait chacun de ses vêtements. Pour être sûr de les retrouver le lendemain.

Ce soir-là quand il ôta son chapeau, il prit un crayon et un bout de papier et écrivit
Chapeau, posé sur l’étagère supérieure de l’armoire puis il écrivit
Manteau, posé sur le cintre dans l’armoire
Chemise, posée sur le dossier de la chaise
Pantalon, posé sur le plat de la longue table de chêne, avec sa ceinture
Chaussures et chaussettes, posées au pied du lit sur la carpette de laine

Puis il enfila une chemise de nuit taillée dans un tissu épais et un bonnet de même et il voulut s'allonger. Mais alors qu'il allait poser sa tête sur l'oreiller il se releva comme un pantin à ressort, saisit le crayon et écrivit sur un nouveau morceau de papier "Faïvel... dans son lit"

Il posa papier et crayon sur la jolie table de nuit, s'allongea, s'endormit, rassuré.


Et c'est ainsi que le lendemain matin, grâce à ces pense-bêtes, après s'être levé, lavé et avoir déjeuné, il s'habilla sans oublier un seul vêtement.
Comme il le lisait, il prit la chemise sur le dossier de la chaise
Le pantalon sur la longue table de chêne avec la ceinture
Les chaussettes et les chaussures sur la carpette de laine
Le manteau sur le cintre dans l'armoire
Le chapeau, sur l’étagère de l’armoire.
Mais au moment où il découvrit dans le miroir un homme tout content, satisfait, heureux, ravi de contrôler sa mémoire, il y remarqua, posé sur la jolie table de nuit, un papier oublié. Il le saisit et lut : "Faïvel … dans son lit" Il s'étouffa de surprise en voyant que Faïvel n'était pas dans le lit.

Une douleur s'accrocha à son coeur et il se prit à gémir :
« Oh mon dieu Seigneur, Faïvel n'est pas dans son lit ! Où peut-il bien être ?»

Il chercha Faïvel partout dans la pièce, y compris sous les marches de l'escalier, dans le cagibi. Il eut l'idée de le chercher dans le jardin. Quand il ne le trouva pas même dans le puits il décida de partir à sa recherche.

Il marcha, marcha, marcha à suivre sans la voir la voie du chemin de fer et c’est ainsi qu’un jour il parvint devant une magnifique demeure. Comme la faim l'étreignait il pensa qu’on ne lui refuserait pas quelque nourriture. Il n'était pas exigeant. Un bon bol bouillant de soupe au chou conviendrait parfaitement.
Quand il frappa là la porte,
Quand la porte s’ouvrit,
Quand se pencha vers lui un bon gros géant Maître des lieux et visiblement dans l'opulence,et
Quand il lui demanda de le faire dîner, l’homme lui répondit qu’on ne nourrissait pas un homme sans qu'il ne fasse rien. Et il ajouta
« Tu as de la chance. J’ai acheté ce matin même un magnifique pur sang. Si tu savais en prendre soin? cette seule condition méritera que je te nourrisse ?"

L’homme n’avait jamais gardé un seul cheval de sa vie.
Mais il avait faim. Il accepta.
Double chance, le maître lui fit servir un plein bol bouillant de cette bonne soupe aux choux dont il avait rêvé puis il le mena devant le box de sa nouvelle acquisition

« Donc je compte sur toi pour en prendre soin. C’est une pure merveille que je te confie ! Ce cheval est d’une valeur inestimable. Je vais faire des jaloux. Installe-toi ici et garde le bien, ne le quitte surtout pas des yeux »

L’homme acquiesca vivement de la tête, le Maître fit demi tour et rentra chez lui. Rassuré.

Pas tant que cela car dans la nuit il se réveilla en se demandant si l’homme lui gardait son cheval convenablement ?
Il ne trouva pas de réponse. Il préféra aller y voir de ses propres yeux.

Il resta confondu. Pour vérifier le box c’est devant un homme endormi qu’il passa. Le cheval heureusement était bien là, mais sa présence ne mit pas fin à la colère qui était née dans la tête du Maître.
Il s’approcha de l’homme et le réveilla sans ménagemen
« Ho, je ne t’ai pas donné à manger pour dormir, réveille-toi et garde mon cheval s’il te plaît »
L’homme se releva d’un bond et déclara vivement qu’il ne dormait pas.
Le maître s’étonna
-« Que faisais-tu alors ?»
-« Je réfléchissais »
-« Tu réfléchissais ?] dit-il un brin goguenard
et peut-on savoir à quoi tu réfléchissais ? »

« Je me demandais où allait le bois quand on y plantait un clou ! »

La pertinence de ce questionnement étonna profondément le Maître. Il déclara « En voilà, une de drôle de question. Mais il n’est pas tant de te questionner : il te faut garder mon cheval, ma merveille des merveilles. Fais-le ! Sinon…. !»
Et sur ce, le Maître s’en retourna.

La journée du lendemain se passa au mieux pour l’homme. A la nuit il reprit place devant le box. Le Maître lui, dans son lit. Rassuré.

Mais pas tant que cela. En plein milieu de celle-ci il se réveille : l’homme lui garde-t-il convenablement son merveilleux cheval ? Comme il n’obtient aucune réponse, il préfère aller y voir de ses propres yeux.

Il resta confondu. Pour vérifier le box c’est une nouvelle fois devant un homme endormi qu’il passa. Le cheval heureusement était bien là, mais sa présence ne mit pas fin à la colère qui était née dans la tête du Maître.
Il s’approcha de l’homme et le réveilla sans grand ménagement
« Ho, je ne t’ai pas donné à manger pour dormir, réveille-toi et garde mon cheval s’il te plaît »
L’homme se releva d’un bond et déclara vivement comme la veille, qu’il ne dormait pas.
Le maître s’étonna
-« Que faisais-tu alors ?»
-« Je réfléchissais »
-« Tu réfléchissais ? dit-il un brin goguenard, encore ? Et peut-on savoir à quoi tu réfléchissais cette fois ? »
-« Je me demandais où allait la cire quand la bougie brûlait ? »

« Tu as de drôles de questions mon garçon. Mais il n’est pas tant de te questionner : il te faut garder mon cheval, ma merveille des merveilles. Fais-le ! Sinon…. !» Et sur cette injonction, le Maître s’en retourna.

Et le lendemain le cheval sortit du box, l’homme le promena au bout de sa longe, la journée se déroula tranquillement, ce fut une merveilleuse journée et il put manger un nouveau bon bol bouillant de bonne soupe aux choux et quand il se rendit à l’écurie, le Maître lui se rendit dans son lit, rassuré.
Mais pas tant que ça. En plein milieu de la nuit il se réveilla de nouveau et sans même se poser la question il se rendit devant le box. Non seulement il passa devant un homme endormi mais il dut se rendre à l’évidence que le box était vide. Plus une seule trace de pur-sang. La colère l’empoigna. Il revint auprès de l’homme le réveilla sans aucun ménagement et lui demanda d’une voix qui s’étranglait
« Mon pur sang a disparu nigaud ! Ne viens pas me dire que tu ne dormais pas cette fois !"

Et si sa voix s’étranglait de colère elle s’étrangla aussitôt davantage car l’homme lui répondit
« Et pourtant c’est la vérité : je ne dormais pas ! »

"Comment ça tu ne dormais pas, mais mon cheval n’est plus là et tu n’as rien vu ni entendu vraisemblablement que faisais-tu ?"
« Justement, je me questionnais. Je me demandais comment un cheval aussi bien gardé pouvait bien disparaître ! »

Stupéfaction chez le Maïtre que la colère emport "Hein ? quoi, comment…." S’il ne se retenait plus, il tenait fermement Faïvel d’une main et lui donnait une belle secouée de coups de l’autre. Il le frappe partout et si fort et tant que bientôt Faïvel se mit à crier :

« Arrêtez, cessez, vous me faites mal, je souffre comme jamais Faïvel n’a souffert ! »

C’est à cet instant que l’homme s’écoute, mieux, s’entend. Il reformule
"Qu’est-ce que j’ai dit, que vous faisiez mal à Faïvel, que j'avais mal ! Mais si j’ai mal, c'est que je me sens, si je me sens, c’est que je suis moi , moi Faïvel qui s’était perdu !

Il se met à danser heureux et rieur en criant « J’ai retrouvé Faïvel J’ai retrouvé Faïvel" et il quitte le maître.
Et il s’en retourne au village.

Là bas, il salue tout ceux qu’il connaît et même ceux qu’il ne connaît pas. Il serre des mains et des mains en nombre, et il dit
« Faïvel a retrouvé Faïvel, dès demain je me remets à travailler, et le soir je vous rejoins à la bibliothèque pour parler avec vous du Grand Livre des Evidences !"
Et voilà tout un village ravit

Et Faïvel de dire,

Je suis né de l’union d’un homme et d’une femme

Je suis né de l’union d’un homme et d’une

Je suis né de l’u…

Je suis né

… pour faire CRIC
et vous CRAC

parce ce conte se finit aujourd’hui.



Rennes, le jeudi 13 novembre 2008

lANIA

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