"Le Monde M'Est Tissé"
et ce fut un plaisir de le découvrir. Grec, avec guitare, bouzouki et enseignement musclé de quelques pas de danse, pas si faciles mais bien amusants à apprendre avec une danseuse très optimiste ; franco-Italien avec décor soigné, cuisinière, farfale, fettucine, fusilli, penne i linguine sans oublier les spaghetti, les marionnettes et le pommier du roi et les costumes et masques enchanteurs ; espagnol avec musiciens et danseuse pour une soirée Flamenco, qu'un seul mot suffit pour la porter : Olé. L'enthousiasme était là. Et océanien, de guerre à paix, en ce qui me concerne, en compagnie de deux enfants et de Kayillilou le vieil homme à la casquette.
Le vieux Kayillilou parle. Les enfants disent "Elle est belle ton histoire Kayillilou" Il répond "C'est le sable qui la dit" Alors Kayillilou reprend du sable, le met dans sa bouche, comme certains conteurs font encore en Mélanésie. Appuyé sur le Rocher de la Tortue le sable a parlé. Du grand créateur Taahora. Et voici Terre, et voici Mer, et voici Vent qui guérit Terre de quelques tours de corde à sauter. Et merci Jean Tardieu poète.
Conversation (sur le pas de la porte, avec bonhomie.)
Comment ça va sur la terre?
- Ça va ça va, ça va bien.
Les petits chiens sont-ils prospères?
- Mon Dieu oui merci bien.
Et les nuages?
- Ça flotte.
Et les volcans?
- Ça mijote.
Et les fleuves?
- Ça s'écoule.
Et le temps?
- Ça se déroule.
Et votre âme?
- Elle est malade
le printemps était trop vert
elle a mangé trop de salade. Jean Tardieu, Monsieur Monsieur (1951)
Et le sable dit Et voici, conte en 3D et chant du Haka, parents et enfants mêlés au jeu de "La guerre des Poissons". Et le sable dit. Et voici "Pakingo Adipen le Paresseux chanceux".
Chanceux ? Tiens, et pourquoi donc ? Et le sable dit. Et voici "Cheveux d'Or" le requin né d'humain et sa voix douce de requin pacifique et Kepanila et Hilo et Kau et Kua et Manokini et Kapunela. Et c'est le combat, une fois deux fois trois fois, et c'est la rencontre avec le roi des requins, son "grand père", la Reine des Mers dont il porte le nom, et Pehue le requin si monstrueux, que manquent les mots pour le décrire. Et c'est l'ultime combat. Hommes et requins vivent en paix désormais. Il est temps d'aller se régaler. De crabe perforé à l'épieu, mais comblé à la sauce vanille-piment. Hummmmmmmm c'est bon. Il est temps de remercier le grand Tahaora en chantant : E maliééééééé ta mi fa ; E maliééééééééé ta mi fa ; Et ma liééééééééé ta mi fa so so a tou tou lé pa, aïe et aïe sé totaïe, ouana é lo lé fé aïe, oua ho ho hooooooooooooo ou a ho ho ho on tape dans les mains. Chut, c'est fini.
J'ai choisi d'adapter "Conversation" pour lier Terre et Mer. J'aurais pu choisir quelques mots tirés de "Etier" de Eugène Guillevic. Je ne m'empêche pas de vous inviter à cliquer sur le lien qui suit http://www.maulpoix.net/guillevic.html
"Le poème est la clairière des rendez-vous durables où s'équilibrent un peu les ressemblances"
Et les étiers ne sont-ils pas un peu l'âme de La Barre de Mont Fromentine, Vendée comprise ? A bientôt.
Etier d'Eugéne Guillevic
par Jean-Michel Maulpoix
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Etier, éditions Gallimard,
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Le dictionnaire de Littré offre du mot "Etier" deux définitions. Terme de saline, il désigne un "fossé ou conduit par lequel on fait entrer l'eau de mer dans les marais, pour s'y transformer en sel". Terme de marine, il s'applique à un petit canal qui aboutit à la mer ou à un grand fleuve, et qui peut recevoir de petits navires.
Le titre de ce recueil d'Eugène Guillevic fait donc image et constitue comme une ébauche d'art poétique. Chacun de ses poèmes est un chenal qui permet de passer de la terre étroite à la vaste mer, ou au contraire d'accueillir en un lieu familier des images chargées de lointains. Chacun fait de la parole l'endroit où quelque chose se décante, se minéralise.
Etier recueille dix années de poèmes. Relevé, réseau, élégie, exercice, ronces, analyse, herbiers de Bretagne, ces séquences successives tendraient à circonscrire un domaine, elle constituent plutôt une cartographie, un itinéraire. Étroite et fugace, chacune représente un chenal d'approche, comme le léger clapotement des vagues à l'heure de la marée. Le flux apporte des objets (bactéries, graminée) que le passant un instant accueille sur la grève.
Pour Guillevic, le monde est toujours extérieur et dérobé à l'homme. Les seuls échanges qui nous soient permis ne sont ni lyriques, ni enthousiastes, mais muets, et plus menaçants que limpides.
Nul repos, nulle communion. La poésie n'est pas ce qui se répand. Plutôt de la solitude concentrée. Chaque perception abrite une question.
Chez Guillevic, le monde semble de deux sortes : soit il se fige et nous glace dans la distance , soit il grouille, fermente et nous menace . S'il parle, ce n'est que pour nous apprendre comment mourir .
L' ailleurs demeure donc interdit . La mer est un grand songe avide dont nous ne connaissons en vérité que les rives.
Dépourvues de toute complaisance lyrique, les élégies seront dès lors ces épreuves de la solitude et du silence. De moindres paroles, fertiles d'humanité précaire. Le poème y va son allure la plus intime, la plus inquiète.
Car le monde qui bouge à peine et le temps qui meurt lentement, s'ils tracent avec précision les contours de cette parole abrupte, y font aussi trembler une révolte. Dans des mots frêles et rapides, le poète inscrit un espoir. Celui d'un royaume où l'on accède par paliers communs : "il suffit de venir dans un endroit plus ouvert, d'avancer, de pousser la porte quelquefois, de se glisser."
Le poème est la clairière des rendez-vous durables où s'équilibrent un peu les ressemblances.
© Jean-Michel Maulpoix
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