va parler. Elle porte sur les épaules un magnifique châle rouge frangé, tout fait d'une soie bordée et brodée d'or et argent : boules de fleurs et épis d'or se répartissent en ses quatre coins.
"Il est merveilleux ton châle Babouchka" dit l'un des enfants.
"Aussi merveilleux que les yeux de la chouette, mon enfant" dit-elle en se penchant et en continuant "Chut... Une chouette vole, tête de folle ; elle vole, vole,
se pose, repose la queue, écarquille les yeux, repart ;
elle vole vole, se pose, remue la queue,
écarquille les yeux, ceci n'est pas le conte,
ceci n'est que le début...."
Silence dans l'isba. la voix de Babouchka reprend
En ce temps-là le Tsar Petit Pois faisait la guerre aux champignons. Il cessait si peu de faire la guerre aux champignons qu'un matin il inspire de ses faits guerriers le Cèpe Petinou. Celui-ci se décide à ordonner aux champignons de lui faire la guerre.
Ça s'est passé un beau matin sous un grand chêne, entouré d'épicéas. Un beau matin un beau matin et pourtant ce matin-là le Cèpe Petinou a l'humeur à la querelle. Il ouvre les yeux, regarde autour de lui et il aperçoit qui ? Vous n'étiez pas là les enfants je vous le dis, il aperçoit les nonettes (encore appelées les nonettes voilées) mignonnettes. Elles ressemblent à des craquelins unijambistes et bretons tant elles sont, comme eux, toutes rondes du chapeau et dorées.
Le cèpe Petinou se précipite vers les Nonettes. Il s'arrête, bombe son torse, claque entre eux le talon de ses bottes noires. Puis il leur crie.
"Nonettes, faites-moi la guerre ! c'est un ordre !"
Les Nonettes sont jeunettes. Elles viennent à peine d'ouvrir l'oeil. Leurs lamelles ne sont pas encore entrebâillées. Elles s'étonnent, à leur façon, avec de petites voix :
"Qu'est-ce que vous dites Cèpe Petinou ? Avons-nous bien compris ? Vous voulez que nous vous fassions la guerre, la guerre ? Nous ne vous ferons pas la guerre Cèpe Petinou ! Nous avons bien d'autre chose à faire que la guerre ! Par exemple, nous préparons notre concours de descente la plus rapide en toboggan" Et elles lui tournent le dos pour préparer les dossards, les équipes, les cadeaux.
Cèpe Petinou s'est retrouvé tout bête.
"Tant pis pour vous Nonettes qui ne pensez qu'à jouer,
vous n'êtes pas les seules champignones au monde !"
et il a tourné la tête.
C'est jour de chance pour Cèpe Petinou. Devant lui se tiennent justement quelques individus Palomets. Plutôt sur pied blanc et coiffés d'un chapeau vert pâle (encore appelés russule verdoyante.) ils se tiennent les uns ici les autres par là : le sourire monte aux lèvres de Cèpe Petinou. Il s'approche d'eux,
s'arrête, bombe son torse claque entre eux les talons de ses bottes noires puis il leur crie
"Palomets, vous voilà bienvenus, déclarez-moi la guerre, c'est un ordre !"
Qui parle ? Les Palomets lèvent la tête.
"C'est vous Cèpe Petinou ! Vous qui nous q ordonnez de vous déclarer la guerre ! Vous avez perdu la tête ? Pourquoi nous déclarerions-vous la guerre, ne savez-vous pas que nous sommes de riches propriétaires terriens. Nous sommes si tristes d'avoir tant perdu de terres que nous n'allons pas rajouter la tristesse d'essuyer une nouvelle guerre. Ne comptez pas sur nous pour vous battre, n'y comptez pas !" Et les Palomets pieds blancs chapeau lisse et blanc vert tournent le dos à Cèpe Petinou.
"Tant pis pour vous palmés, je ne changerai pas d'idée et vous n'êtes pas les seuls ici, je veux qu'on me déclare la guerre on me la déclarera !" Cèpe Petinou bougonne "Si ce n'est pas avec les Nonettes, si ce n'est pas avec les Palomets ce sera avec d'autres, ce sera, ce sera... ce sera avec les Coulemelles, et d'ailleurs en voilà !" Il ne se trompe pas. C'est vrai, aux pieds du Cèpe Petinou, des Coulemelles belles se tiennent
ainsi qu'elles sont, longues et fines, chapeau arrondi, frisotti-frisotta, réunies en petits groupes, par cinq ou six par là. Cèpe Petinou ne se retient pas. Sourire aux lèvres il s'approche d'elles, s'arrête, bombe le torse, claque entre eux les talons de ses bottes noires puis il leur hurle :
"Coulemelles, déclarez-moi la guerre ! C'est un ordre."
Les Coulemelles se retournent avec allure. Pffff c'est Cèpe Petinou. Elles lui répondent
"Cèpe Petinou, c'est donc vous qui nous haranguez ainsi ! Que nous vous déclarions la guerre ? A quoi pensez-vous ? Nous avez-vous bien regardées, oubliez-vous notre allure altière, nos bonnes manières, nous n'avons rien à faire à faire la guerre, nous ne vous la ferons pas, tenez-vous le pour dit !"
Cette fois Cèpe Petinou est soufflé ! Comment osent-elles ! N'est-il pas le Grand Cèpe Petinou ! Ça ne va pas se passer comme ça ! Il y aura bien il y aura bien.... les Chanterelles pourquoi les Chanterelles appelées aussi girolles
photo "chanterelles ou girolles-cantal-envied'autrement"
ne lui feraient-elles pas la guerre, pourquoi ne lui obéiraient-elles pas ! Surtout qu'elles sont là, à trois pas de lui, merveilleux tapis jaune. À trois pas de lui ! Comme pour les Nonettes, les Palomets, les Coulemelles Cèpe Petinou hurle aux Chanterelles
"Chanterelles déclarez-moi la guerre ! C'est un ordre !"
Sous la harangue, le tapis de petites Chanterelles, encore appelées Girolles, frémit par vagues successives. Elles rentrent du marché. Elles portent des paniers pleins à ras-bords de plants de poireaux, de betteraves crues, de pommes de terres, de céleris-raves, de navets, de salades. En découvrant Cèpe Petinou les jaunes Chanterelles ne se troublent plus. Elles lui répondent avec fermeté
"Qu'avez-vous dit ? Vous faire la guerre ? Nous pourrions, nous sommes si nombreuses mais il n'en est pas question. Tôt levées, depuis l'aurore, nous ne préparons qu'une seule guerre, la guerre que nous déclarons chaque jour à nos fourneaux. Et il nous la rendront bien. ne savez-vous pas que nous sommes les plus merveilleuses des cuisinières du château ?" Et sur ce, paniers débordant en mains elles passent sous son nez et poursuivent leur chemin".
Cèpe Petinou est plus pantois que pantois* -et j'ai pas écrit "putois"-
Comment les Chanterelles osent-elles ! Mais tout aussitôt il se redresse, furète, cherche et aperçoit, les Mousserons
rassemblés, "en rond de sorcières", par milliers voire par millions au plein milieu du pré derrière un buisson pour rimer avec Mousserons ou bataillons. Bataillons !!! Le rêve militaire s'empare de Cèpe Petinou. Les Mousserons sont formés à la bataille, ils lui obéiront. Cèpe Petinou n'a aucun doute, Cèpe Petinou se régale par avance : un grand sourire aux lèvres il s'approche des Mousserons, il s'arrête, il bombe le torse, il claque entre eux les talons de ses bottes noires et il hurle l'oeil sévère d'un côté comme de l'autre
"Mousserons, déclarez-moi la guerre !"
Le Cèpe Petinou n'a pas le temps de comprendre qu'il a rencontré plus fort que lui. Les Mousserons, invités à la chose, foncent sur lui avec détermination : la guerre, ça les connait les Mousserons. En escadrons aux rangs serrés et bataillons motivés, les Militaires Mousserons entourent si vite Cèpe Petinou qu'ils l'écrasent sans autre forme de procès.
Ceci précisons-le, s'est passé au temps où le Tsar Petit Pois faisait, il est vrai, la guerre aux champignons"
Adaptation fantaisiste et personnelle du texte-randonnée N° 38 intitulé "Les champignons" in Maison-Neuve Larose, "Les contes populaires russes"réunis par Afanassiev
* pantois : Qui est suffoqué, interloqué par la surprise : Cette réponse m'a laissée pantoise.
* des betteraves crues : dire de plus en plus rapidement au moins huit fois
"Fruit frais, fruit cuit, fruit cru" ou encore
"Bon pain, banc peint, bain plein"
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