lundi 24 juillet 2017

Il était une fois la chance

Olà, bonjour, j'ai de la chance. Je suis bien née. 
Un 21 juin. Du soleil, de la brise, de la chaleur, quelques jours plus tard à peine couverte, mes gambettes à l'air libre,  je "zieute les points rouges... du cerisier et déjà je ne les confonds pas avec les points noirs de mon éventail, ni avec les points noirs de la coccinelle qui fait le tour d'une feuille verte. et m'invite à "borborythmer". 
J'ai de l'acuité et je ne sais pas que je vais le payer cher alors mes gambettes, elles continuent de faire des claquettes.


J'ai de la chance. Huit ans plus tard, ni moi, ni mon frère, ni ma soeur, ne connaissent  mer ou  l'océan,  nos parents pratiquent l'égalité entre nous. Pourtant rien n'étant immuable, j'ai de la chance et c'est à moi qu'on propose d'aller à la rencontre de l'Océan. Ce sera Mimizan. Enigme : pourquoi moi, puisque mes hôtes ne sont autres que les parrains et marraines de mon frangin ?
J'ai de l'acuité et je ne sais pas que je vais le payer cher. Je découvre la mer. Je découvre l'espace. Je découvre la longue plage,  l'immensité marine qui se confond avec le ciel.  Je découvre l'aller et le retour  des vagues. Surtout le retour. Je deviens craintive. J'appréhende. Face à la blanche dentelle, face à ma peur d'être par elle, avalée, je détale.. 

C'est pas fini.
Je sais tout juste faire du vélo et Frédérique me propose de partir en ballade.  J'accepte et la mère de ma nouvelle amie nous conseille  "de faire bien attention et de ne pas oublier que nous nous promènerons sur une base militaire" 

Nous partons

Nous roulons en devisant gaiement, pendant que  soleil s'éloigne et que la nuit tombe, comme dirait Abdou le conteur posant sa devinette. 
Il fait doux. Il fait bon. Je roule de mieux en mieux. Le jour s'amenuise beaucoup. Nous décidons d'un commun accord d'arrêter la promenade et de retourner à la maison. C'est alors qu'une voix forte retentit dans notre dos "Halte là qui vive". Le ton ferme me pétrifie. Pourtant je tente un regard par-dessus mon épaule. La silhouette noire qui se détache sur les ultimes bleus blancs des cieux tiens un fusil tendu vers nous, vers moi !!! Je bascule par-dessus mon guidon, je me relève jambes guimauves. Mon coeur bat la chamade, mes oreilles se troublent sous ses saccades effrayantes.   Et pourtant dans cette trouille folle j'arrive à détaler. La phrase revient à l'oreille "faire bien attention et de ne pas oublier que nous nous promènerons sur une base militaire" Une base militaire, le soldat, le fusil... c'est clair s'il tire je meurs, il faut que tu t'arrêtes. Facile à écrire. Combien de fois ai-je trébuché ?
Un score encore inégalé. La phrase revient à mes oreilles et je la comprends. Au jeu de la statue j'aurais gagné. le soldat écoute Frédérique; Elle est la fille du colonel. Ouf.

J'ai de la chance et de l'acuité...
Un jour l'acuité s'est érodée. J'ai perdu ma chance . Puis je l'ai retrouvée. Perdue, retrouvée. Perdue, retrouvée... Il faut savoir lire sa chance. Il faut comprendre la chance.  

Ce matin je promène Titou le gentil fauve. Il me fait rire. Soudain, la laisse se détend. Que se passe-t-il ? Je lève les yeux, une silhouette humaine se détache sur le blanc bleu du matin. Lente, très lente, elle vient vers nous. Elle nous croise. Nous salue timidement. Je réponds par un sourire et un bonjour. J'ai de l'acuité, je sens la silhouette en peine. Nous nous éloignons. Mon fauve et moi croisons des copains, des copines, échangeons trois mots, libérons les chiens, ils s'apprécient, jouent, nous repartons. Je cours.  Titou adore courir. Il court, oreilles à l'horizontale, façon papillon mais il est Bichon et ça me fait rire. Depuis combien de temps n'ai-je pas couru ? Nous repartons en sens inverse et en courant, chien devant.  

Dans ma main la laisse s'amollit. Titou s'est arrêté. Sa tête est relevée.  La silhouette "en peine" s'est s'arrêtée aussi. Elle abaisse une main. Caresse mon fauve sur le dos avec douceur, tendre sourire aux lèvres mais larmes aux yeux et langue étrangère. J'écoute. 
Silence. 
Elle relève la tête "gentil chien"
J'interroge. Doucement. L'âme est géorgienne. L'âme est en peine. Elle  fait un geste en boucle sur sa poitrine et lâche des mots français. 
"Mon fils, poitrine, hôpital, docteur... oncologie" 
Ai-je de l'acuité. En tout cas j'ai de l'"irréflexion" : je pose ma main sur son épaule et je prononce le mot "espoir" Elle pleure. Nous nous étreignons respiration commune. 
Petits sourires. Séparation. 
J'ai de la chance.
Bonne journée.

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