Pour Anastasia Ortenzio, conteuse, Chantal Ferdinand, conteuse aussi, et sa parenté Evelyne Delmon, conteuse de même et qui plus est habitante du département que j'aime, le Tarn-et-SGaronne, je dépose l'original du texte intitulé Le Bonhomme de l'AN. Aux autres je souhaite une jolie découverte ou une belle lecture.
La nuit était blanche et noire. Elle avait du mal à digérer le dernier jour de l'année. Le chemin était sec sous mes pieds nus. Qu'avais-je donc fait de mes sabots depuis le temps de Noël. Mes talons reconnaissaient les cailloux qui m'avaient servi, ceux de ma fronde, ceux de la marelle, ceux des ricochets sur l'eau et ces douces pierres de farine qui faisaient de si beaux dessins sur les portes des étables. J'étais mort de fatigue et je ne me serais arrêté pour rien au monde avant d'avoir retrouvé tous ces cailloux, y compris ceux des batailles contre les garnements du bas-bourg. A l'horizon, la mer immobile m'attendait comme un lit.
Il n'y avait aucun bruit nulle part et pourtant je ne l'ai pas entendu venir. Il s'est trouvé près de moi d'un seul coup. C'était un petit homme sec, vêtu d'une chemise de chanvre et d'un pantalon de panne rapiécé, tout blanchi d'usure. Sur le grand chapeau grisâtre qui lui couvrait presque les épaules, il portait un grand sac noué qui me parut à peu près vide. Et le gars se tenait aussi droit qu'un manche de bêche. Je ne sentais plus les cailloux sous mes pieds.
"Il est temps de rentrer chez vous, dit-il, et sa voix était sévère. Qu'est-ce que vous faites par ici, cette nuit et à cette heure ? Il y a des choses que vous ne devez pas voir"
Quelles choses ? J'avais honte, mais que faire ? Savais-je pourquoi j'étais à marcher sous le ciel quand mon lit-clos m'attendait à la maison ? Quelle était cette route et qu'est-ce qu'il y faisait lui-même avec son sac sur la tête ?
"Mon sac, dit-il, c'est vous et les autres qui me l'avez rempli l'an dernier, c'est pour vous que je l'ai vidé sur ma route. Il n'y reste plus grand-chose. Vous voulez voir ?"
Sans attendre de réponse, il s'arrêta, baissa la tête, et le sac lui tomba dans les mains. Pendant qu'il dénouait le chanvre, le noeud se refaisait dans ma gorge.
"C'est toujours la même chose, soupira le bonhomme, vous laissez le meilleur derrière vous. Tout le monde en parle et personne n'en veut. c'est une pitié."
Il avait retourné le sac sur le chemin. Cela faisait un tas de cendres et de feuilles mortes où il se mit à fouiller.
"Tenez ! Voilà le ver luisant qui marque votre fortune au long des chemins creux. Apprenez à le distinguer des autres. Il jette un éclat bleu de temps en temps. Et voilà l'herbe d'or sur laquelle il faut se garder de marcher pour ne pas fausser votre destin. Ou bien marchez dessus et vous apprendrez ce que les autres ne savent pas. Voilà encore le sel de terre que l'on met sur la queue des oiseaux pour les attraper à la main et leur demander le secret de leur langage. Et voilà enfin la corde à virer le vent. Je vous laisse le tout, car il est temps que je m'en aille. A vous de vous en servir !"
Le bonhomme était déjà debout. Il roula le sac et se le mit sous l'aisselle.Là-bas, du côté de la mer, on voyait s'avancer fermement sur ses jambes une pièce d'hommes en vêtements tout neufs qui portait un sac très lourd en travers de son échine. Quand il passa devant nous, sans s'arrêter le moindrement, il nous cria
"Bonne année !"
"Bon voyage, petit Janvier !" répondit le vieux pendant que sonnait le premier coup de minuit. Au douzième coup, il avait disparu. Le porte-voeux était déjà loin.
J'ai voulu ramasser la corde, le sel-de-terre, l'herbe d'or et le ver luisant. hélas, il ne restait plus que la cendre et les feuilles mortes. J'étais déjà trop grand.
Lania dit "à bientôt"
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire