lundi 27 juillet 2015

Personne ne le sait. Sachez-le. Peut-on peindre la mer en son entier.

Personne ne le sait.
Au  château de Mordreuc en Bretagne et long de Rance, face à Pleudihen-sur-Rance


débarqua il y a longtemps une femme, jeune et belle. Pour seul bagage elle portait un tableau sous le bras. Le tableau représentait le château persan qu'elle avait quitté il y avait longtemps, le temps d'arriver en long de Rance, à peine du côté de France.

Personne ne le sait.
Là, elle prit l'habitude de vivre.
Là, elle prit l'habitude de regarder, chaque matin, posé sur son chevalet, le tableau qui  représentait son palais, les arbres, les buissons, toute la végétation et les oiseaux qui volaient par-dessus la mer.

La mer qui n'était pas peinte en son entier. Elle pensait "Peut-on peindre la mer en son entier ?

Chaque matin en ce pays de Rance, pas même encore en ce pays de France, elle se rappelait ses armées en déroute, l'assaillant prêt à vaincre, celui-ci prêt à s'emparer d'elle. Elle, faite prisonnière, devenir butin de guerre.
Elle avait pris la décision de fuir son royaume, de quitter son palais. 
Elle l'avait fait à toute allure, par l'escalier dérobé.
Comme elle passait devant l'atelier du peintre elle s'était arrêtée et aussitôt, en trois pas, était revenue en arrière. Par la porte entrouverte, le tableau sur le chevalet avait attiré son attention. Il n'était pas terminé.

La mer n'était pas peinte en son entier. Elle avait pensé : "Peut-on peindre la mer en son entier ?

Elle avait saisi le tableau et tableau sous le bras elle avait dévalé l'escalier dérobé. Et fuit.


Comment était-elle arrivée en Pays de Rance ? 
Aucune réponse à cette interrogation. Personne ne l'a jamais su. 
Comment avait-elle eu un enfant ? 
Aucune réponse à ce questionnement. Personne ne l'a jamais su. 
L'enfant était un bonheur, son unique bonheur. L'enfant était une fille. 
Quelqu'un l'a dit. Un autre l'a dit. D'autres l'ont répété. Qui ? Personne ne le sait. 
Mais chaque matin, dès que l'enfant "dans ses trois ans" fut en capacité de distinguer l'orange du jaune, le bleu du vert, le violet du pourpre, la reine avait montré la peinture à l'enfant. Elle lui montrait  ce palais qu'elle avait quitté. Et les arbres et la végétation et la mer. Et elle disait "un jour tu découvriras ce palais avec moi" Et elle se taisait en regardant le tableau.

La mer n'était pas peinte en son entier.  Elle pensait Mais peut-on peindre la mer en son entier ?

Ainsi l'enfant était-elle élevée.
Et le fut-elle jusqu'à la disparition de la reine : oui un jour, vous,  les autres, moi, nous disparaîtrons. La reine, tout comme vous, les autres et moi, un jour disparaîtrait. La reine disparut sans avoir revu, accompagné de sa fille, le palais qu'elle avait quitté.
Passés les pleurs, les cris, les lamentations éperdues, la jeune princesse continua de contempler chaque matin la peinture, le palais et les arbres et la végétation et la mer. 
Cette mer qui n'était pas peinte en son entier. A son tour la jeune princesse se demandait "Peut-on peindre la mer en son entier ?"



Un jour, lequel, personne ne le sait, la jeune princesse quitta les bords de Rance.
Pour se rendre en pays persan, sur le lieu où se dressait le palais de sa mère.
Quand elle y parvint, combien d'heures, de jours, de mois après, aucune réponse à cette question, elle fut prise d'un grand étonnement. 
Le palais du tableau était bien plus beau que la réalité qu'elle découvrait. Bien plus beau que le palais de sa mère.  

Elle fit appeler le peintre.
Quand il se présenta elle déclara :
"Tu m'as, par ta peinture, complètement trompée sur le palais de ma mère. Il est sur la toile que tu as peinte, bien plus beau qu'en réalité. Et pour cette déception, pour cette douleur que je viens de vivre, je veux te tuer. Mais avant, je veux que tu termines ta peinture, je veux que tu peignes la mer en son entier"
Dans  le même temps elle pensait "Peut-on peindre la mer en son entier ?"




Le temps avait passé. Le peintre était devenu tout vieux, tout courbé, tout penché. Tout tremblant. Cependant, il fit venir des pinceaux et des couleurs et il se mit à peindre la mer en son entier. 
La princesse attendait. Elle pensait "Peut-on peindre la mer en son entier ?"
Sur la barbe du peintre, qui dissimulait son vieux menton ridé tout tombant, naissait un drôle de sourire.

Le vieux peintre peignit la mer. "Il la peignit si bien, de façon si vraie", que la mer déborda de la peinture. Que la mer se prit à envahir la salle du palais où le peintre peignait la mer sous les yeux de la jeune princesse et de sa cour. L'eau monta de chevilles en genoux, de genoux en tailles, jusqu'à atteindre la taille du peintre. Soudain le peintre esquisse une barque, un mât, sa voile, un vent à souffler à tout rompre puis il saute dans la barque et sous les yeux interloqués de la jeune princesse et de sa cour, le peintre disparaît. A l'horizon de sa propre peinture. 


Le conte a monté comme mer. 
Je l'ai offert à des princes et des princesses, des rois et des reines. Lecteurs, lectrices merci.

Ce texte n'est pas le mien, il n'est plus tout à fait non plus celui de  Julos BEAUCARNE pour lequel la reine est un roi. Et la princesse fille de reine, un prince fils de roi.  Cependant c'est toutefois grâce à lui que je l'ai rencontré et vous l'offre aujourd'hui.

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