samedi 25 août 2007

Famille Plancha, famille Zoutils : révolution dans la menuiserie


Les outils du charpentier
(adapté d'un conte du Moyen-Orient -Grèce- in Pomme d'Api, décembre 1999)


Un jour, dans l'atelier d’un charpentier, régna un silence inhabituel.


C'était un matin. La famille Zoutils démarra la journée terrorisée. Elle se tenait "à carreaux". Personne, parmi elle, ne disait mot : Oncle Rabot, pas plus que Dame Pointe, Mademoiselle Scie, pas moins que Cousin Marteau et pas la peine de parler de l'ami : celui-là se tirait de ce moment particulier en étant muet. Aucun n'en revenait d'avoir écouté les doléances de la Famille Plancha, à leur égard.


A peine éveillés, ils avaient entendu une étrange conversation au coeur de la famille Plancha : tous les rejetons de la lignée bois, tous les bois, planches de bois, planches de chêne, de frêne, de peuplier, de merisier, les bois d’érable et bois précieux se sont mis à parler entre eux. Il avait seulement fallu que Plancha Chêne surnommé Lancien salue chacun d'un


"Bonjour les amis, écoutez-moi, cette nuit j'ai rêvé. Je dois vous parler du rêve que j'ai fait"


Dans l'atelier, la Famille Plancha, curieuse, d'une seule voix répondit :


"A quel propos Plancha Chêne, dis-nous, nous sommes tout ouïe"



Lancien reprit la parole :


"De Mademoiselle Scie. Soudain dans mon rêve, je n'ai vu qu'elle et sa belle série de dents ; sa façon de nous mordre, son assurance pour le faire, notre incapacité à résister, l'obligation de nous taire. A me donner des sueurs, froides à me réveiller. Je n'y avais jamais pensé. Je devais vous le faire savoir. Voilà, je vous ai tout dit !"


Tout le monde échangea un regard. Apparemment, pour tous et chacun, c'était la prise de conscience. Planche Dérable troua le silence
- « Tu n'as pas tort Plancha Chêne, il m'apparaît même que tu as raison. Qu'en pensez-vous vous autres dit-il en se trournant vers la Famille Plancha visiblement effrayée!"
Et bien, c'est à dire, c'est donc que... chacun voulait s'exprimer. Plancha Dérable ne se retint pas davantage "Je vois que vous êtes d'accord avec Plancha Chêne et moi-même alors, puisqu'on y est, débarrassons-nous de Mademoiselle Scie et dans la foulée, de son Oncle Rabot. Car enfin, si elle nous mord sans raison, voyez comme il nous épluche et nous lisse : un vrai lifting ! Que nous n'avons jamais souhaité !»

La conversation s’enflamma. Bois Débène déclara qu'il fallait faire de même pour Cousin Marteau car ses cognées étaient bien trop assassines. Plupetirozo précisa qu'il ne fallait pas oublier Les Neveux Klous ! "Rappelez-vous comme ils nous pénétrent. A nous éclater parfois. Plancha Chêne a raison, faisons pour eux comme pour tous ceux de leur famille : mettons-les dehors, sortons-les, qu'ils s'en aillent ! Allez les Zoutils, ouste !"

Chaque Plancha frissonnait d'un souvenir enfoui au plus profond de son être. Tous les regards se tournèrent du côté de la Famille Zoutils.



Silence de plomb, sidération. Dans la famille Zoutils chacun retenait sa respiration persuadé que sa vie ne tenait plus qu'à un fil. Suspendu au mur, couché dans les tiroirs de l'établi, il frissonnait de peur. Toutes les interrogations, des plus raisonnables aux plus farfelues, lui venai ent à l'esprit. Qu'allait-il se passer, que subirait-il, qui serait capable d'intervenir pour leur défense ?

A cet instant, les graviers de la cour, sans rancune pour les semelles qui les écrasaient, se mirent à chanter.
Une voix à siffler.
La poignée de la porte s'abaissa sous la main du menuisier : les gonds gémirent de douleur Le menuisier pensa qu'ils méritaient bien de recevoir quelques gorgées d'huile de la petite burette : il leur lança un "demain, sans mentir, je vous servirai" Les gonds furent rassurés et à l'écoute de sa voix la famille Zoutils le fut aussi.


Ouf, souffla chacun de ses membres celui-ci ferait un bon médiateur en leur faveur face à la haine soudaine de la Famille Plancha.

La porte passée, dans l'atelier, le sifflement joyeux de Joseph Lemenuisier s'empara du silence de plomb à en les paroles qui suivent


scie scie scie, voici la scie


qui se siffle ainsi sans souci
scie scie scie voici la scie
qui se siffle ainsi sans souci !



Joseph Lemenuisier s'arrêta de chanter. Ce fut pour se demander à voix haute quel bois il choisirait pour créer le bel objet qu'il avait justement prévu de créer ce jour-là.



Et sur cette interrogation il s'immobilisa devant Mademoiselle Plancha.

"Te voilà toi.... ma foi, tu pourrais devenir une jolie chose. Voyons voyons !"
et tout en promenant sa main gauche sur son menton, il caressait doucement Mademoiselle Plancha qui se retenait de trembler de frayeur : ce n'était pas le moment de se laisser aller. Soudain elle sentit Pouce et Index la saisir puis la quitter et elle entendit Joseph Lemenuisier regretter sa trop grande jeunesse.
"Trop humide encore ma belle, ce sera pour une autre fois Mademoiselle !" Inutile de préciser le soulagement de la belle.

Il la quitta pour s'arrêter auprès de Plancha Débène. Il réprima un frisson quand les mains s'approchèrent de lui. Il pria silencieusement tous les saints dieux en regrettant toute absence de gri-gri. Puis il ne la regretta plus car Joseph Lemonnier le trouva bien trop dur pour faire ce qu'il avait en tête. "Ouf" pensa Plancha Débène. "Quelle chance" pensa Joseph Lemonnier quand il découvrit Plancha Chene Lancien :
"Comment n'ai-je pas pensé à toi tout de suite, plus besoin de chercher davantage, tu feras parfaitement l'affaire, tu es sec à point, d'une beauté remarquable, d'une puissance à traverser les temps, tu as de beaux noeuds tu sais, Plancha Chene Lancien tu seras mon choix ce jour !"

Dans sa joie il le souleva, l'installa sur l'établi, saisit son crayon rouge et plat sur son oreille -une vieille habitude dont il ne se séparait pas- prit ses repères et tendit la main vers Mademoiselle Scie. Pauvre Plancha Chêne Lancien Il n'eut plus qu'à faire sa dernière prière.

Quant à Mademoiselle Scie autant vous dire qu'elle s'en donna à "dents joie". Elle donna vie à une fine poussière parfumée. Son parfum se répandit dans l'atelier et Joseph Lemenuisier s'en régala comme il aimait à le faire.
Bientôt Cousin Rabot de sa lame d'acier offrait les plus beaux copeaux, les neveux Klous dirigés par Oncle Marteau firent preuve d'une précision rare. Avec d'autres outils Joseph Lemenuisier tourna et sculpta à sa convenance ce bois merveilleux qu'il avait choisi et qu'il ne cessait de complimenter "Avec toi Plancha Chêne Lancien et avec vous, mes outils, je fais aujourd'hui le plus beau de mes ouvrages. Je vous remercie !"


Toute la journée le menuisier travailla. Sous ses doigts agiles naquirent les fuseaux les plus élancés, les formes les plus ovales, les lames les plus résistantes. Il n'était pas question qu'elles puissent s'affaisser.

Vint la fin du jour. Il rangea tous les outils en les félicitant de nouveau. Il caressa longuement ce qui au matin n’était qu’une planche de chêne
« Merci Lancien pour t’être donnée sous mes doigts à la scie, au rabot, au marteau, aux clous. Tu es devenu la plus merveilleuse des bercelonnettes" Et d'une pichenette il donna un mouvement à la bercelonnette. Alors, sur ses lèvres naquit le refrain d'une berceuse bretonne

Heu han eta toutouic lalla*

Heu han eta toutouic lalla

Convaincu que la bercelonnette conviendrait à la perfection au bébé du voisin qui n'allait pas tarder à pointer son nez, il se frotta les mains et déclara qu'il était temps la lui apporter, pour qu'elle soit garnie jusqu'au voile de plumetis.


Il ouvrit la porte. Elle gémit
"Demain ma belle, demain je prendrai le temps de m'occuper de toi"
Ravie, la porte s'ouvrit autant qu'elle put. Joseph Lemenuisier saisit la bercelonnette entre ses bras. Il descendit les trois marches et le crissement des graviers accompagna non pas l'air de la scie mais celui de la berceuse bretonne.


Heu han eta toutouic lalla

heu han eta toutouic lalla !



Dans l'obscurité de l'atelier chaque membre de la famille Plancha pensait à la chance de Plancha Chêne Lancien d'avoir été choisi.
Face à tous, chaque membre de la famille Zoutils se félicitait de l'avoir été.

Qui pensa "Nous avons bien de la chance de vivre ensemble dans cet atelier de menuisier" ?
La petite Demoiselle Plancha.
Elle le dit à voix haute et Famille Plancha et Famille Zoutils l'entendirent si bien qu'ils la félicitèrent pour cette clairvoyance.

Dans la famille Plancha, cette nuit-là chacun rêva au plaisir d'être choisi par Joseph Lemenuisier et s'abandonna autant que faire se peut aux nécessaires morsures de la gourmande Demoiselle Scie.



Heu han eta toutouic lalla


Heu han eta toutouic lalla

Lania

* Air à écouter sur le CD édité par Gallimard "Les berceuses du monde entier"

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