jeudi 5 octobre 2017

Aïka et Bêk ... au 30 avril en forêt de Sibérie

C'est curieux, ce matin 5 octobre me voilà arrêtée au 30 avril.
C'est ça, par la magie de la lecture.

"Dans les forêts de Sibérie" par Sylvain Tesson
Un livre qui m'accompagne depuis... peut-être deux mois. Un livre dont je recule l'instant d'arriver à la fin parce que je ne veux pas arriver à la fin. Un livre que je goûte, presque à chaque mot jusqu'au mot "soûler" que je déteste. Comment ne pas déposer un extrait ?
J'hésitais, j'avais la flemme, il y a tant d'extraits possibles, sur lesquels je me suis arrêtée.  Mais ce matin, l'arrêt s'impose. Au risque de me répéter, à celui de vous ennuyer, me voilà au 30 avril et je ne vous dirai pas combien de fois je l'ai déjà lu.
Pourquoi ?
Comme je le dis aux enfants, les "pourquoi ?" ne m'intéressent pas. Je ne connais pas toujours -d'ailleurs peut-être jamais- la réponse aux "pourquoi ?" Je leur préfère les "comment ?"
Et ne me demandez surtout pas pourquoi !

Donc l'arrêt s'impose, ce 4 octobre 17, rennais, gris, mat, plat, humide, silencieux, volubilis, papyrus et ficus sur mon balcon, ces deux derniers pour donner une touche verte et violette à ce texte signé #SylvainTesson,  p.170-171 #Gallimard.

30 avril
La taïga est noire. La neige disparaît des branches des arbres. Les montagnes sont frappées de taches sombres. Aïka et Bêk se précipitent sous la fenêtre aux lueurs de l'aube. Quand deux petits chiens vous fêtent au matin, la nuit prend la saveur de l'attente. La fidélité du chien n'exige rien, pas un devoir. Son amour se contente d'un os. Les chiens ? On les fait coucher dehors, on leur parle comme à des charretiers, de temps en temps, vlan ! une baffe dans les côtes. Ce qu'on leur offre en coups, ils nous le rendent en bave. Et je comprends soudain pourquoi les hommes ont fait du chien leur meilleur ami : c'est une pauvre bête dont la soumission n'a pas à être payée en retour. Une créature qui correspondait donc parfaitement à ce que l'homme est capable de donner.

Nous jouons sur la plage. Je leur lance l'os de cerf déniché par Aïka. Ils ne se lassent jamais de me le rapporter. Ils en mourraient. Ces maîtres m'apprennent à peupler la seule patrie qui vaille : l'instant* Notre péché à nous autres, les hommes, c'est d'avoir perdu cette fièvre du chien à rapporter le même os. Pour être heureux, il faut que nous accumulions chez nous des dizaines d'objets de plus en plus sophistiqués. La pub nous lance son "va chercher !" Le chien a admirablement réglé le problème du désir.

Contes dits avec les merveilleux instants musicaux de Cyprien Bole 
dans le cadre d'une collaboration avec Emilie Maj ethnologue

Longue marche jusqu'au cap des Cèdres du Sud avec les petites bêtes. Le ciel est en charpie et le vent s'est levé. A travers les nuages, des rayons balaient la taïga de traînées fauves et y plaquent des empiècements d'or... Les chiens s'arrêtent net devant une zone gorgée d'eau. Ils gémissent, refusent d'avancer et je m'engage à pas prudents pour leur montrer qu'ils peuvent passer. Un aigle tournoie, hors de portée. Le vent soulève des gerbes de paillettes. Elles deviennent poussière de pyrite quand elles croisent un rai de soleil. La forêt gronde sous les rafales. Les forces du printemps sont là. Je les sens, prêtes à l'attaque, n'osant pas encore la reconquête.

Le ciel est fou, ébouriffé d'air pur, affolé de lumière. Des images d'une intense beauté surgissent et disparaissent. Est-ce cela l'apparition d'un dieu ? Je suis incapable de prendre la moindre photo. Ce serait double injure : je pêcherais par  inattention : j'insulterais l'instant.

Quand nous arrivons au cap où je voulais.....

* l'un de mes blogs s'intitule ainsi. La capacité de goûter à l'instant m'enivre de plus en plus, de jour en jour ... et si bien, qu'à me soûler. :-)

"Dans les forêts de Sibérie" - Gallimard - Sylvain Tesson
Et de me permettre ce lien http://www.enfancesnomades.com 
et de préciser que les contes de Sibérie sont un de mes thèmes de prédilection : pour les enfants ou pour les adultes, dans les écoles, bibliothèques ou autres sites, ils sont prêts à l'écoute. Pour me contacter
lcomlania@gmail.com
07 70 34 90 72



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