En ce temps-là, pas encore de moteur à explosion,
on se déplace à pied, en carriole, ou en carrosse.
En ce temps-là, pas de dame électricité,
on s'éclaire à la bougie, on mange les légumes
de son jardin et le pain de son four à pain.
Et cela du côté du pays d'Ailleurs ou de celui de Rance,
non loin de Dinard et tout près de l'îlot Chalibert. .
Chalibert était le nom d'une fée. Une fée qui comme toutes les fées possédait des pouvoirs. Parmi l'un de ceux-ci elle avait celui de faire mettre à certains... cap sur l'autre monde, et si cette fantaisie la prenait c'était pour cent ans, au moins.
Ah la charmante fée Chalibert.
Un jour, cette fantaisie lui prit.
Yé Kric
Yé Krac
l’histoire vient.
L'histoire est là.
Un jour,
Un de ces jours, aurait dit le conteur, "pris entre deux nuits et disparus depuis belle lurette dans la besace du temps", deux cortèges de noces se sont présentés à cet endroit de la rive de la Rance qu’on appellait la cale de Jouvence et qu'on appelle aujourd'hui la cale de Jouvente. Les deux cortèges espéraient la présence d'un passeur ; le passeur les mènerait de l'autre côté de la Rance. Un prêtre les accueillerait sur l'ilôt d'Aleth et l'un après l'autre, il procèderait aux deux mariages.
A l'arrivée sur le ponton, les deux cortèges, ont une belle surprise. Le passeur n'est pas au rendez-vous. Il faut l'attendre. Tous attendent. Mais à l'intérieur des deux cortèges, il y a des impatients. Bientôt, comme le temps passe, il y a des inquiets. Les conversations vont bon train sans passer d'un cortège à l'autre. De cortège en cortège pas question de se mêler à l'autre cortège.
L'une des noces est celle du Maître du Château de Pleurtuit. Le Marquis de Pleurtuit.
La mariée est sa fille, la jolie Rozenn. Dans le cortège, il y a tout une troupe de gentilshommes, de dames, de pages et de valets, tous richement accoutrés. Tous d'un brillant apparat. Quand ils reviendront ils danseront dans les allées du jardin sans oublier la terrasse.
La mariée est sa fille, la jolie Rozenn. Dans le cortège, il y a tout une troupe de gentilshommes, de dames, de pages et de valets, tous richement accoutrés. Tous d'un brillant apparat. Quand ils reviendront ils danseront dans les allées du jardin sans oublier la terrasse.
La seconde noce est toute différente. Elle est de basse roture côté mariée comme côté marié. Aucune noblesse. Peu d'argent. Des manants et manantes, vêtus de droguets, le créateur des craquelins entre autres, qui les vendait à l'époque de Noël au châtelain et était ainsi accueilli aux cuisines.
Soudain, il y a un mouvement de foule. Des deux côtés, on se hausse sur la pointe des pieds, on s'appuie sur les épaules du voisin ou de la voisine. Les regards montent vers le ciel. Il s'est obscurci, de grisé, il passe au noir violet, certains évoquent une tempête. Ils disent qu'elle menace ! Mais ils font erreur. Ce n'est pas la tempête qui vient. C'est une barque. Qui vogue de nuage en nuage. Bientôt elle affleure et s'arrête au bas de la cale de Jouvente
. Et la seule voyageuse est une pauvresse, une mendiante. Chacun s'interroge « D’où sort cette femme ? Qui est-elle ? » Son visage pourrait être friable tant les rides s'y croisent. Ses vêtements ne sont pas vêtements, ils sont loques traînant sur le sol tant la vieille est courbée en deux. Tous les yeux suivent silencieux la vieille qui monte sur le ponton. Que veut-elle ? Elle tend une main aussi plate que possible. Sa voix chevrotante répète L'aumône s'il vous plaît, l'aumône Messieurs, Mesdames, braves gens !" Sa voix cassée aurait fait donner trois sous, par le plus mendiant des mendiants des Mille et une Nuit, le riche commerçant Abhou Khacem. cet Abhou si avare qu’il s’habillait toujours de guenilles jusqu'aux babouches milles fois trouées reprisées.
. Et la seule voyageuse est une pauvresse, une mendiante. Chacun s'interroge « D’où sort cette femme ? Qui est-elle ? » Son visage pourrait être friable tant les rides s'y croisent. Ses vêtements ne sont pas vêtements, ils sont loques traînant sur le sol tant la vieille est courbée en deux. Tous les yeux suivent silencieux la vieille qui monte sur le ponton. Que veut-elle ? Elle tend une main aussi plate que possible. Sa voix chevrotante répète L'aumône s'il vous plaît, l'aumône Messieurs, Mesdames, braves gens !" Sa voix cassée aurait fait donner trois sous, par le plus mendiant des mendiants des Mille et une Nuit, le riche commerçant Abhou Khacem. cet Abhou si avare qu’il s’habillait toujours de guenilles jusqu'aux babouches milles fois trouées reprisées.
Dans le cortège des manants, la fiancée paysanne fait immédiatement un signe à son promis. Il n'a pas besoin d'explication, il a compris. Il plonge sa main dans son escarcelle et retire quelques liards. Sans l'ombre d'une hésitation il les tend à la mendiante. « Que ces quelques liards vous portent chance Madame ! » dit-il. La mendiante le remercie d'un grand sourire et se dirige vers la seconde noce.
Le futur marié gentilhomme est prêt à faire de même, sinon mieux. Il tire sa bourse d’or et s'apprête à l'ouvrir. Mais alors sa jeune fiancée lui donne un coup de coude si brutal et si inattendu qu'il ne peut réagir : il lâche la bourse de cuir, elle tombe à l’eau. Aucun hasard dans ce geste. La fiancée du chateau rit sans retenue. Elle s’amuse beaucoup. Elle rit encore quand le passeur attendu se présente. Et que la mendiante n'est plu.
Tout le monde se précipite. Mais le passeur arrête chacun d'une main levée. Mais pas que : il retient surtout les deux couples. Il en met un sur sa droite, l'autre sur sa gauche et il il sépare chacun de sa chacune. Finalement dans un grand silence, tout le monde s'interroge : pourquoi ? Il embarque la future mariée du Château de Pleurtuit, et le futur marié du cortège roturier. Pourquoi ? Monteront-ils tous ? Non. Ils sont les seuls. Le passeur n'invite personne d’autre.
Il manœuvre sa barque. Sous les yeux de tous, la barque cingle vers le large. C’est à n’y rien comprendre. Chacun est médusé. Certains disent en montrant le ciel
« C'est à cause de la mendiante, de la pauvresse, regardez, elle est dans le ciel ! dans les nuages ! »
Certains disent qu’en effet, les nuages lui ressemblent, d’autres disent
« Bêtise, balivernes, les nuages ne sont que des nuages ! »
« C'est à cause de la mendiante, de la pauvresse, regardez, elle est dans le ciel ! dans les nuages ! »
Certains disent qu’en effet, les nuages lui ressemblent, d’autres disent
« Bêtise, balivernes, les nuages ne sont que des nuages ! »
La pauvresse n'est pas dans les nuages. Elle se tient là, tout près, assise sur un muret. Sa paume droite est ouverte et chacun peut y voir les quelques liards offerts par le jeune roturier. Mais personne ne remarque quoi que ce soit : face à elle ce ne sont pas des visages mais les dos de tous, qui regardent s'éloigner la barque du passeur qui n'est plus que coquille de noix.
Quand l'horizon avale la barque, ceux des deux cortèges se retournent. Ils sont médusés. La mendiante est là ! Pourquoi ? ils sont davantage encore médusés quand ils comprennent qu'elle s'adresse à eux.
« Laissez-moi vous dire qui je suis. On m’appelle la fée Chalibert. Je rendrai à chacun la monnaie de sa pièce ou la pièce de sa monnaie" dit-elle. "Quand je paierai mon dû, personne ne manquera à l'appel. Il vous faudra seulement attendre le temps qu’il me faudra pour le faire. 100 ans. Et dans 100 ans vous reviendrez tous à ce même endroit. Je serai là !"
Et sur ces mots la fée Chalibert disparaît.
100 ans ! Personne n'y croyait.
En ces temps anciens, il n'était pas facile d'atteindre cent ans. Mais la Fée Chalibert les garda tous en vie grâce à ses pouvoirs. La fiancée du manant, le fiancée de la jeune fille noble et tous ceux qui se trouvaient dans les deux cortèges : certains conteurs disent même que "les chiens des seigneurs et les poux des manants vécurent cent ans à leur tour". Ce qui fut vrai, c'est que personne n’échappa aux sévices du temps.
Au bout des cent ans le même jour, les deux cortèges quittèrent l'un le château de Pleurtuit, l'autre quelques maisons du même village et tous se dirigèrent vers le ponton de Jouvente.
Sans s’être consultés.
Sans savoir pourquoi. L’instinct ?
Plutôt la fée Chalibert. Les deux cortèges étaient étranges. Nombreux étaient ceux qui avançaient sur trois jambes, dont l'une offrait un écho de fer inégal. Chacun y allait de sa musique. Les poitrines toussaient, les bouches crachaient, les jambes titubaient ou boîtaient ; certaines têtes ne pouvaient que regarder le sol, d’autres corps tremblaient de la tête aux pieds. Certaines voix étaient réduites à un filet inaudible, certaines bouches sifflaient plus qu’elles ne parlaient, d'autre bavaient en découvrant des gencives dénudées. Comme bébés faisant leurs dents mais eux ne les faisant pas. C'était un pitoyable et dérisoire spectacle.
Sans s’être consultés.
Sans savoir pourquoi. L’instinct ?
Plutôt la fée Chalibert. Les deux cortèges étaient étranges. Nombreux étaient ceux qui avançaient sur trois jambes, dont l'une offrait un écho de fer inégal. Chacun y allait de sa musique. Les poitrines toussaient, les bouches crachaient, les jambes titubaient ou boîtaient ; certaines têtes ne pouvaient que regarder le sol, d’autres corps tremblaient de la tête aux pieds. Certaines voix étaient réduites à un filet inaudible, certaines bouches sifflaient plus qu’elles ne parlaient, d'autre bavaient en découvrant des gencives dénudées. Comme bébés faisant leurs dents mais eux ne les faisant pas. C'était un pitoyable et dérisoire spectacle.
Ils se placèrent tous, les uns à côté des autres et quand le dernier s'installa, une barque apparut sur l'estuaire de la Rance. Elle avançait, sans voile, sans rame, elle avançait doucement vers les vieillards chenus. Chacun reconnut sans peine, la demoiselle fiancée, fraîche comme une rose cueillie au petit matin, et à ses côtés, le jeune homme fiancé du cortège roturier. Tous deux portaient leurs habits de noces dans le même état que le jour de la noce. La robe blanche n'avait pas jauni, le costume noir n'était pas flétri. Leurs silhouettes offraient l'image de la plus parfaite jeunesse.
Leurs visages ne portaient aucune trace du Temps.
Un brouhaha monta du ponton. Les vieillards s’étonnaient.
Les jeunes gens de la barque s’étonnaient aussi : voir autant de centenaires à la fois leur semblait inouï. La barque manoeuvrait pour se rapprocher du ponton. Les deux jeunes gens mirent pied à terre. La fée Chalibert apparut.
« Bonsoir » dit-elle « Je viens vous rendre mon dû, je vous avais prévenu, aujourd'hui il est temps"
Elle fait un geste en direction du vieux gentilhomme. Le fiancé d’antan du château de Pleurtuit. Elle lui montre sa jeune et belle fiancée et elle déclare
«La reconnaissez-vous ? Je suis venu vous la rendre, elle est à vous !"
«La reconnaissez-vous ? Je suis venu vous la rendre, elle est à vous !"
Sitôt reconnue sa fiancé, les yeux du vieillard trahissent sa convoitise. Il est tout content. Cela saute aux yeux de tous.
Mais la jeune et jolie fiancée n’est pas d'accord. Elle dit qu'elle ne le connaît pas, elle dit qu'elle ne le veut pas. Et sur le ponton elle tremble d'effroi quand il tremble de déception.
Mais l’histoire n'est pas finie.
La fée Chalibert se tourne vers une vieille paysanne tremblotante et l'interpelle d'un lumineux et rieur
« Demoiselle ! je suis venue vous rendre votre futur mari ; il est à vous»
La pauvre vieille est terriblement émue : elle tremble encore plus en reconnaissant son bel amour, le petit gars de Pleurtuit. Elle sourit. Elle en devient presque ravissante. Comme elle s'avance vers lui, tout sourire, et bras ouverts, la fée Chalibert fait un brusque mouvement et bascule la vieille femme dans les eaux. Elle coule dans la Rance. Sans aucune hésitation le beau fiancé plonge dans la rivière et retire des eaux froides sa promise d'hier.
La pauvre vieille est terriblement émue : elle tremble encore plus en reconnaissant son bel amour, le petit gars de Pleurtuit. Elle sourit. Elle en devient presque ravissante. Comme elle s'avance vers lui, tout sourire, et bras ouverts, la fée Chalibert fait un brusque mouvement et bascule la vieille femme dans les eaux. Elle coule dans la Rance. Sans aucune hésitation le beau fiancé plonge dans la rivière et retire des eaux froides sa promise d'hier.
L'eau de la Rance aurait-elle des pouvoirs ? Le jeune homme pauvre croyait ramener sur le ponton sa vieille à la bouche édentée. Il ramène une belle, la belle de ses vingt ans, plus belle que jamais.
La fée Chalibert leur sourit.
"Chers enfants, le manoir de Pleurtuit vous appartient. Désormais vous en êtes les maîtres !"
Ils veulent la remercier. Elle refuse.
Ils veulent la remercier. Elle refuse.
« Ne me remerciez pas, vivez, tout simplement."
L'un prend la main de l'autre et tous deux remontent le chemin en direction du château de Pleurtuit. Sur le ponton, la fée Chalibert fait en sorte que les vieillards, de l'un ou de l'autre cortège, disparaissent. Puis elle se retire à son tour. Et ce conte finit là.
C’est grâce aux conteurs qui passent et transmettent ce conte que chacun apprend qu’il faut traverser la Rance le cœur sincère et bienveillant. Sinon on passe dans l’autre monde pour cent ans. J'ai trouvé ce conte lors d'une recherche aux archives rennaises. Je l'ai écrit à ma façon. Sur le souvenir qui me restait.
Ce jour 6 octobre 2015, (un an déjà) j'ai le coeur à l'envers. Tristesse.
A disparu Albert Poulain,
l'écouté, la preuve
conteur gallo émérite et autre encore
Tristesse. (4 photos, dont certaines Ouest-France)
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