mercredi 21 février 2018

Si tu veux la paix pose d'abord les armes

Il était une fois, parce qu'une fois suffit bien... il était une fois Eustache. Eustache le soldat. 

Cette fois-là, au cours d'une bataille, le pauvre Eustache est surpris par une déflagration. Dans le souffle, le soldat Eustache est soulevé, il s'envole et retombe violemment au sol. Plus précisément dans un trou.  
Dans le choc, il ferme les yeux ; quand il les ouvre une lueur traverse la nuit. Il se dit qu'il a bien de la chance de voir une étoile filante.  Puis, avec difficulté, car la terre luisante et molle fait qu'il glisse et remonte autant qu'il glisse de nouveau, il finit par  s'extraire du trou tout groggy. 
Il secoue la poussière de ses vêtements puis il cherche son fusil. 
Un soldat sans fusil ce n'est plus un soldat. Eustache interroge son fusil 
« Où es-tu mon fusil, où te caches-tu ?" 
Eustache cherche à droite, à gauche, devant, derrière. C'est derrière lui, dépassant d'un buisson qu'il retrouve son fusil.  Eustache le saisit, se met au garde à vous et déclare : 
« Soldat Eustache,…. assommé au cœur de la bataille
vous êtes de nouveau  prêt au combat ! »
Raide comme un piquet, Eustache attend.  Il attend à l’affût d’un ordre. Mais aucun ordre ne vient troubler le silence de mort. Prudemment, il tourne la tête à droite à gauche, devant, derrière :  la plaine est vide, il est seul, on l'a oublié. Aussitôt le froid le saisit. Eustache  tremble. Puis il se dit  qu’il ne doit pas rester là, planté comme un poireau et pour se donner du courage il se met à chanter
sa seule certitude : 
Je suis un p’tit soldat,
Toujours prêt, toujours là,
Un petit fier à bras
Courageux et tout ça.
Je suis un p’tit soldat,
Toujours prêt, toujours là,

Un petit fier à bras
Dodi dodelida
Et corne démoula.

À pas cadencés, il se met en marche, bien décidé à retrouver sa guerre.

Marche qu’il marche, quand le jour se lève il aperçoit une silhouette humaine. Il n'est plus seul. Réjoui, il l’interpelle
« Bonjour Citoyen ! Je cherche la guerre. Pouvez-vous me dire où elle se trouve ? »
« La guerre ? »  L’homme répète. Eustache remarque les étranges yeux de l'homme, son regard perdu, égaré. Eustache comprend que l'homme a perdu la vue.  Cependant l'homme répond en balançant un bras :  "la guerre? elle est par là, ou par là.  Pourquoi tu m’interroges, ne vois-tu pas qu’elle est partout où tu vas, soldat de malheur ? »
« Comment savez-vous que je suis soldat ? Vous n'y voyez pas ! »
« Apprends, Soldat, qu’on voit avec le cœur peut-être plus sûrement qu’avec les yeux » 
Et sur cette parole l’homme s’est éloigné, le pas sûr, dans la brume du petit matin. 

Eustache poursuit sa route. Le soleil a fait une apparition timide.
Apprends, Soldat, qu’on voit aussi avec le cœur et peut-être plus sûrement qu’avec les yeux »
« Apprends, Soldat, qu’on voit aussi avec le cœur et peut-être plus sûrement qu’avec les yeux » 
"Apprends, Soldat, qu’on voit aussi avec le cœur et peut-être plus sûrement qu’avec les yeux »
Les mots de l’homme résonnaient dans la tête du soldat Eustache.
Il entendit des enfants rieurs parler entre eux et leur mère intervenir auprès d'eux. le groupe vient vers lui, Eustache le salut : 
« Bonjour Madame ! Bonjour les enfants.  Je cherche la guerre. Pouvez-vous me dire où elle se trouve ? » 

La femme lui répond vertement
« Qu'est-ce que vous racontez, vous cherchez la guerre, je ne veux pas savoir où est la guerre, laissez-nous en paix ! Vous nous avez déjà tout pris ! Honte sur vous ! »
Les paroles de la femme blessent le soldat Eustache. Il ne sait quoi répondre. Plutôt que de répondre il avance la main pour caresser la tête du plus petit des enfants. 
Mal lui en prend. L'enfant le mord violemment de ses petites dents. Tout soldat qu'il est Eustache crie

« Aie ! mais pourquoi m'as-tu mordu jusqu'au sang petit ?"

Le ciel se couvre. Les enfants et leur mère disparaissent.  Eustache est seul une fois de plus. Il recommence à chantonner doucement


Pourquoi suis’j un soldat ?
Je ne le sais même pas.
À quoi ça rime tout ça ?
Je ne le sais même pas !
Pourquoi suis’j un soldat ?
Je ne le sais même pas.
À quoi ça rime tout ça ?

Je ne le sais même pas !
Dodi dodelida
Et corne démoula.

Eustache d'un bon pas poursuit sa route. Des  gouttes de pluie commencent à tomber. Il pense à ses camarades de régiment. Où sont-ils maintenant ?
Il pleut à verse. Eustache ne voit plus rien du paysage.
Caillou ou branche ? Il trébuche. Il s'étale de tout son long dans la boue. Le tonnerre gronde, 1, 2, 3, 4... un éclair déchire le ciel : l'orage est tout proche.
Tout à coup, autour de lui, une forme menaçante apparaît et une voix grave et rauque l'interpelle :  :
« Alors, Soldat, on a perdu la boussole ? »
Eustache bredouille
"Euh… Je je cher je cherche  la guerre… Savez-vous où est la guerre ? »
"Ha ha ha, comme tu es drôle, tu es donc si pressé de mourir ?" s'esclaffe le nouveau venu ! "Regarde-moi bien, Soldat : avant, j’étais comme toi, avant… Ne m’oublie pas, Soldat, ne m’oublie pas… »
Ah ah ah ! la forme menaçante s'efface derrière le rideau de pluie.

1, 2, 3, 4.... 40 l'orage est loin. Eustache, trempé jusqu’aux os, marche comme un automate.
Il tâte son épaule à la recherche de son fusil. Il l'a perdu. Tant pis. Eustache ne le cherche pas. Il continue de 

Marcher, marcher, marcher…
Marcher ça fatigue, marcher ça épuise, Eustache est fatigué-épuisé. Il aimerait bien se reposer. Ce serait bien si... ce serait s'il trouve... Eustache aurait-il de la chance ? Il aperçoit une maison en ruines. 




Les fenêtres vont de travers, la porte est de guingois mais la cheminée tient debout. Autour, il y a  du petit bois et un gros tronc d’arbre, tout pour faire un bon feu. Et sur le manteau de la cheminée, il y a même des allumettes.  Crish crish Eustache se réchauffe ; il aperçoit un levier en fer forgé : il le monte-descend : de l'eau froide coule dans l'évier de pierre.  Eustache fait un brin de toilette et un brin de lessive. Sur un fil, bienvenu et à hauteur d’homme, qui traverse la salle il accroche ses vêtements en marmonnant 
"Pendant que vous sécherez, mes amis de route, moi je vais me reposer" 
Et il  s'étend  sur un vieux banc de guingois.  Malgré cela il   s’endort profondément. Ça s’entend. Eustache ronfle.
L'odeur particulière du "rû" -comme on dit dans le 81- le réveille. Et pour cause : il est en train de prendre feu : ses pantalons, son tricot de peau et sa chemise sont tout calcinés. Il n’a plus rien, pour se vêtir, que son caleçon. Eustache hausse les épaules. Il  enfile le caleçon et reprend sa route le pas léger.
Il chante à tue-tête :


Je n’suis plus un soldat.
Je ne veux plus faire ça :
Toujours marcher au pas.
Ne comptez plus sur moi.
Je n’suis plus un soldat.
Je ne veux plus faire ça :

Toujours marcher au pas
Ne comptez plus sur moi..
Dodi dodelida 
et corne démoula.

Sur le chemin une enfant surgit d’un buisson en éclatant de rire. 
« Oh la la la comme tu es drôle toi, tu t'en vas tout nu ! Qui es-tu ? »
Eustache est surpris. Dans un geste réflexe il est aussitôt au garde-à-vous
« Soldat Eustache, toujours prêt au comb… » il ne termine pas sa phrase : il se rappelle qu’il n’a plus de fusil, plus de chemise, plus de tricot de peau, plus de ceinture, plus de pantalon : il éclate de rire.
« T'es pas un soldat toi, t'as pas d'fusil,  toi, tu ressembles plutôt à un clown  ! » dit la petite. 
« C’est vrai , je ressemble à un clown 
mais je ne suis pas.... un clown. Et en fait..." 
Sous les yeux de l'enfant Eustache pose un doigt sur ses lèvres... il réfléchit et poursuit sa phrase ainsi 
« En fait je ne sais plus très bien qui je suis. »
« Moi, je sais, je m’appelle Anastassia et je ramasse du bois pour ma mère Irina. On va faire du feu et surtout du pain. Tu veux nous aider ? »
Tout penaud Eustache répond qu'il n'a jamais fait de pain et qu'il ne sait  pas comment ça se fait ! 
L'enfant répond à son tour que ce n'est pas grave qu'il lui suffit tout simplement de vouloir apprendre à en faire et elle lui demande    "Es-tu prêt à apprendre ? »
Eustache répète timidement qu'il ne sait pas faire. L'enfant le rassure :
"Je sais tu l’as déjà dit, mais dis-moi seulement si tu veux ou tu veux pas …. Si tu veux, tu m'suis.. tu finiras bien par prendre la bonne décision ! »
Eustache suit la petite sur le chemin qui mène à la maison. Le soleil descend lentement sur l’horizon. Il chantonne le dernier couplet de sa chanson.
« Tu chantes la chanson ? »
« Oui, je l’aime bien. »
La porte de la maison s’ouvre et Mère Irina apparaît un bout de son tablier blanc brodé de rouge, relevé dans sa main droite.
L’enfant sautille joyeusement : 
« Maman ! Maman ! C’est Eustache. Il veut apprendre à faire du pain.»
La maman regarde Eustache, regarde sa fille, regarde Eustache : au lieu de dire bonjour, ... elle éclate de rire.
Eustache rougit : il se souvient que seul son slip blanc l'habille. Il est ridicule. Il bafouille des excuses
« Ex- excu- excusez-moi Madame Irina, j’ai brû, brû, brûlé mes vêtements »
« Ne vous excusez pas. Je préfère vous remercier, il y a si longtemps que je n’avais ri d’aussi bon cœur. Entrez et attendez-moi, je vais vous trouver des habits. »
Quelques temps plus tard Eustache, vêtu de nouveaux vêtements, apprend en riant à faire du pain : il mélange le levain, la farine et l’eau… Pendant que la pâte repose, la petite s’endort. Eustache et sa maman  parlent toute la nuit au coin du feu.

L’aube approche.
C’est le moment préféré de Anastassia : elle s'est levée et maintenant elle malaxe, 
#lacourdespetits.com
elle triture, elle aide sa mère à diviser la pâte en trois pâtons : ça l’amuse beaucoup : elle pousse des cris de joie quand la porte du four se referme sur eux.
Elle imagine les flammes crépitant joyeusement.
De son côté Eustache sort un instant. Une bonne odeur de pain chaud flotte dans l’air du petit matin. Elle chatouille ses narines.
Eustache respire profondément. Il pense 
"C'est une belle journée qui commence aujourd'hui. Jamais plus mes mains ne toucheront un fusil !" 

Adapté de
"Le Petit Soldat qui cherchait la guerre"
Mario Ramos
Paris, l’école des loisirs, 1998

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