"Chut..... une chouette vole, tête de folle ; elle vole, vole, se pose, repose la queue, écarquille les yeux et repart ; à nouveau, elle vole, vole, se pose, remue la queue, écarquille les yeux...
En ce temps-là le tsar Petit-Pois faisait la guerre aux Champignons. Une fois deux fois trois fois et tout plein d'autres fois, l'un d'eux, le Cèpe Petinou , eut une idée. Celle d'ordonner aux champignons de venir lui faire la guerre.
Ceci se passa un beau matin, au pied d'un grand chêne, entouré d'épicéas. Quand il se leva, le Cèpe Petinou eut aussitôt l'humeur portée à la querelle. Il regarda autour de lui et il aperçut les nonettes. Il se redressa, frappa du talon ses bottes et clic clac, les interpella d'un puissant "Nonettes, venez me faire la guerre !"
Les jeunes Nonettes tournèrent le regard vers lui, un peu étonnées tout de même, les lamelles à peine entrebaillées et elles répondirent "Comment donc Cèpe Petinou, qu'avez'avez-vous donc dit ? Que voulez-vous ? Que nous vous fassions la guerre ? Mais comprenez-nous, nous avons bien autre chose à faire !"
Et elles le laissèrent là pour faire ce qu'elles avaient à faire.
Un instant déconcerté, le Cèpe Petinou hésite "Ah elles ne veulent pas me faire la guerre. Peu peu importe, il y a d'autres champignons que je sache !" Et sur cette pensée il se reprend, se dresse, cherche du regard, aperçoit les palomets. Son visage s'éclaire. Les voilà bienvenus ceux-ci, ils ne s'opposeront pas à lui. Il frappe fort et du talon ses bottes l'une contre l'autre et d'une voix de stentor il hurle
"Palomets, déclarez-moi la guerre !"
Les Palomets se tournent en direction de la voix qui s'est faite entendre. Sûrs d'eux ils répondent "Comment donc vous déclarer la guerre ? Vous n'y pensez pas, n'avez -vous pas remarqué que nous sommes les Riches propriétaires terriens. Nous avons tant de mal à retrouver nos terres que nous n'allons pas rajouter encore celui de faire la guerre. N'y comptez pas !" Et ils laissent là le Cèpe Petinou tout à son étonnement.
Il veut se battre, il se battra. Si ce n'est avec eux, ce sera avec celles qu'il remarque à l'instant où il s'est mis sur la pointe des pieds. Elles, ce sont les Coulemelles. Longues et fines, le chapeau arrondi un brin frisotti-frisotta, elles se tiennent là, en petits groupes lorsqe le Cèpe Petinou leur adresse soudainement la parole. Que dis-je, leur fait cette injonction :
"Coulemelles, déclarez-moi la guerre !"
Elles se tournent en direction de la voix qui vient de les haranguer. Elles découvrent le Cèpe Petinou. Un instant troublées voilà qu'elles lui répondent "Mais, que dites-vous là, vous voulez que nous vous fassions la guerre ! Nous avez-vous bien regardées, nous sommes les Coulemelles à l'allure altière, nous n'avons rien à faire à vous faire la guerre !"
Le voilà soufflé. Comment peuvent-elles oser. N'est-il pas le grand Cèpe Petinou ! Cependant il se ressaisit, regarde autour de lui et aperçoit les Chanterelles. Il en sourit. Celles-ci vont avoir à faire à lui. Il joint ses bottes dans un claquement sec et de sa voix de stentor il leur enjoint, sur le champ, de leur déclarer la guerre
"Chanterelles, déclarez-moi la guerre !"
Serait-il mal compris ? Les Chanterelles, par petits groupes, reviennent du marché. Leurs paniers débordent de plants de poireaux, de betteraves crues*, de pommes de terre, de céleris-rave, de navets, de salades ! Elles lui répondent sans se laisser troubler "Cèpe Petinou, Que nous demandez-vous là ! Vous faire la guerre ? Mais il n'en est pas question ! Depuis ce matin aux aurores la seule guerre que nous préparons sera celle que nous déclarerons à nos fournaux. Et ils nous la rendront bien !" Et elles le dépassent.
Le voilà pantois ! Comment osent-elles ! Mais tout aussitôt il se remet, se dresse, furète, chercher et aperçoit, les mousserons rassemblés par milliers voire millions pour rimer avec mousserons. Ceux-là lui obéiront. Il n'en doute pas. Les bottes claquent d'un coup sec leur rassemblement et le voilà qui les harangue d'un sévère
"Mousserons, déclarez-moi la guerre !"
Le Cèpe Petinou n'eut pas l'avantage de connaître qu'il avait raison. Les Mousserons foncèrent sur lui avec détermination : la guerre, ça les connaissait. Sous les rangs serrés et les bataillons motivés, les escadrons de Mousserons écrasèrent le Cèpe Petinou sans autre forme de procès sinon militaire.
Ceci précisons-le, se passa au temps où le Tsar Petit Pois faisait, il est vrai, la guerre aux champignons"
Adaptation fantaisiste et personnelle du texte-randonnée N° 38 intitulé "Les champignons" in Maison-Neuve Larose, "Les contes populaires russes"réunis par Afanassiev
* des betteraves crues : dire de plus en plus rapidement
au moins huit fois
"Fruit frais, fruit cuit, fruit cru" ou encore "Bon pain, banc peint, bain plein"